Deux ou trois choses
que je pense de l'agnosticisme
Sommaire
Avertissement
Une définition toute personnelle
L'agnosticisme n'hésite pas, il affirme...
... et il affirme ses propres choix éthiques
Ce que l'agnosticisme rejette chez les croyants
Ce que l'agnosticisme rejette chez les athées
Une théologie agnostique
Avertissement
Ce texte parle de métaphysique et de religion. Ces sujets
ennuient profondément plus de la moitié de la planète. Je vous
prie donc humblement:
si ces sujets vous ennuient (comme je vous comprends!),
de passer votre chemin;
si ces sujets vous intéressent, de vous abstenir quand
même de diffuser ce texte, ou vos réactions à ce texte, sur des
groupes de discussion qui ne seraient pas explicitement
consacrés à parler métaphysique et religion;
si vous avez envie d'en parler avec l'auteur, d'être bien
conscients que cette envie ne sera pas forcément partagée, parce
que je n'ai pas que vous à m'occuper, non mais sans blague; mais
enfin, vous pouvez toujours m'envoyer un mot à
jlancey@rocketmail.com.
Tout contrevenant s'expose à des poursuites pénales. Si tu ne
fais pas ce que tu as promis de faire, ta bien-aimée te
quittera, tu attraperas la gale bubonique et le diable viendra
te faire pati-patoc. All rights reserved. No smoking allowed.
L'usage du cabinet de toilette est interdit pendant l'arrêt du
train en gare.
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Une définition toute personnelle
Comment définir ce qu'est un agnostique? J'ai assurément des
idées sur la question; mais comme l'agnosticisme n'est pas un
mouvement organisé, qu'il n'a pas de chefs, et pas non plus de
véritables théoriciens, je ne peux pas certifier que d'autres
agnostiques souscriraient totalement ni même dans les grandes
lignes à ce que je dis ici. Qu'il soit donc bien entendu que ce
que j'énonce ici n'est que mon opinion, et qu'elle n'engage que
moi.
Je crois tout de même que quand n'importe quel agnostique se
dit tel, c'est parce qu'il ne veut être catalogué ni comme un
croyant, ni comme un athée. Mais cela étant dit, les raisons qui
l'amènent à refuser ces étiquettes peuvent être diverses, et je
n'énoncerai ici que les miennes.
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L'agnosticisme n'hésite pas, il affirme...
On pourrait penser que si je ne me dis ni croyant, ni athée,
c'est parce que j'hésite entre ces deux attitudes. Une telle
position me paraîtrait d'ailleurs respectable, mais ce n'est pas
du tout la mienne: mon opinion ne consiste pas à hésiter entre
les opinions des autres, mais bien à affirmer la mienne.
Je me complais à affirmer, non seulement que je n'ai pas
d'opinion tranchée sur la question de l'existence ou de
l'inexistence de Dieu, mais que je ne souhaite pas en avoir,
parce qu'il s'agit selon moi... d'un faux problème. Je ne crois
pas possible de donner une réponse complète et irréfutable à
cette question, mais quand bien même il me paraîtrait possible
d'élaborer une telle réponse, je ne la chercherais pas. Car je
suis profondément convaincu que le problème n'est pas là, et que
c'est une grave erreur de construire sa vie sur l'idée que Dieu
existe ou qu'il n'existe pas.
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... et il affirme ses propres choix éthiques
Je pense que chaque homme doit construire sa vie sur ses
propres choix éthiques. Les siens, pas ceux d'un autre, que cet
autre soit un Dieu réel, un Dieu inexistant, ou qui que ce soit
d'autre. Je pense que chaque individu a la capacité d'élaborer
la conception du bien et du mal qu'il juge la plus juste, en
fonction de sa personnalité, de ses expériences, de ses
connaissances et du contexte où il se trouve (c'est ce dernier
point que les croyants ont le plus tendance à négliger: le
contexte). Je pense que cette capacité est une chose belle et
bonne, et ce sans considérer si elle nous a été donnée par Dieu,
par le serpent, par le diable, par Prométhée, par les caprices
de l'évolution, par le hasard ou par la nécessité.
En tout état de cause, ma capacité à décider par moi-même de
ce que je juge bon ou mauvais me paraît une excellente chose. Je
crois que c'est ce qui fait de moi un homme mû par sa raison et
non un animal mû par son instinct, et je ne suis pas disposé à
abdiquer cette capacité en faveur de qui ou quoi que ce soit. Ni
en faveur de la patrie, ni en faveur de la théorie de quelque
génial théoricien, ni même en faveur d'un Dieu tout-puissant, ni
même en faveur d'un homme bon. En tout état de cause, je veux
décider par moi-même de ce que je fais de ma vie.
Bizarrement, on peut sans doute reconnaître là un écho d'un
vieux mythe judéo-chrétien: l'homme ayant mangé le fruit de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal, le voici devenu
semblable à Dieu -- sauf en cela qu'il est mortel. D'un point de
vue philosophique, et bien que je ne sois plus croyant, je pense
toujours que ce texte de la Genèse énonce une vérité morale. Et
je suis donc... un agnostique de culture judéo-chrétienne.
Je définis donc mon agnosticisme de façon affirmative, et non
en creux en m'opposant à autre chose. Maintenant, pour rendre
les choses plus claires, je peux aussi dire ce qui me sépare des
croyants, ce qui me sépare des athées... et éventuellement ce
qui me rapproche des uns et des autres.
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Ce que l'agnosticisme rejette chez les croyants
La principale chose qui me sépare des croyants, c'est que je
ne crois pas que notre vie puisse être influencée par
d'inexplicables interventions d'une puissance supérieure. Si je
m'y intéressais (et ce n'est pas le cas), je pourrais peut-être
envisager l'hypothèse qu'il existe ou qu'il ait existé quelque
chose de transcendant qui ressemble à Dieu; ça, ce n'est pas une
idée que je rejette absolument. Ce que je rejette absolument,
c'est l'idée que ce grand bazar est susceptible d'influencer au
jour le jour les événements terrestres.
Je ne crois pas que Dieu me parle. Je ne crois pas que Dieu
ait jamais parlé à personne. Je tiens tous ceux qui disent que
Dieu leur parle ou pour de doux rêveurs (parfois), ou pour de
dangereux menteurs (souvent).
Je ne crois pas que Dieu soit intervenu ni pour m'aider, ni
pour me nuire, dans les événements de mon existence. Je ne crois
pas que Dieu soit jamais intervenu dans l'existence de
personne.
Je ne crois donc pas que la Bible a été écrite sous la dictée
du Saint-Esprit; et s'il s'y trouve des vérités -- ce qui est
possible --, je pense qu'il s'agit de vérités que des hommes en
tout point semblables à des pékins moyens ont comprises, et non
qu'un grand manitou aurait révélées à des êtres
exceptionnels.
Je ne crois pas que la Bible est la parole de Dieu (j'aurais
même tendance à dire que j'ai trop de respect pour l'idée de
Dieu pour lui attribuer un grand nombre de textes stupides ou
haineux que l'on trouve dans la Bible).
Je tiens pour extrêmement dangereuse l'idée qu'il existe un
texte irréfutable, que nul n'aurait le droit de contester. Selon
moi, la règle d'or pour un agnostique est: n'abdique jamais ton
esprit critique, et surtout pas au profit d'un texte écrit il y
a des milliers d'années dans un contexte tout différent par des
hommes qui ne savaient rien de ta vie.
Pour moi, tous les textes sont susceptibles d'être critiqués
sur le fond, quelle que soit leur authenticité réelle ou
supposée. Cela vaut pour la Bible -- et même pour les passages
les plus respectables, les plus débordants d'amour de la Bible.
Même si je suis a priori tout à fait d'accord pour affirmer la
nécessité de l'amour du prochain, je n'admets pas qu'on
m'interdise de m'interroger de temps à autre sur la validité de
ce précepte ou de n'importe quel autre.
On a le droit de douter de tout, car c'est la seule façon de
distinguer la vérité de l'erreur: l'erreur casse devant le
doute, la vérité lui résiste.
Les croyants pensent que c'est la foi qui sauve; moi, je
pense que c'est le doute qui sauve, et que la foi aveugle sert
essentiellement à perdre son bon sens.
C'est là une chose qui m'a toujours mis en colère chez les
croyants -- et d'ailleurs, y compris quand j'étais moi-même
croyant: cette idée que l'homme est justifié par ce qu'il croit
("le juste vivra de la foi"), et non pas par ce qu'il fait.
Tous les croyants ne sont pas également bornés sur cette
question (on peut notamment lire des choses assez nuancées
là-dessus dans l'épître de saint Jacques: "c'est par les oeuvres
que la foi est rendue parfaite"), mais tous pensent plus ou
moins qu'il est toujours bon de croire et toujours mauvais de ne
pas croire: certes, une bigote antisémite est profondément
antipathique, mais tout de même, elle a la foi, et c'est déjà
quelque chose; certes, le mahatma Gandhi était un très brave
homme, mais il n'était pas chrétien et c'est quand même
dommage.
Eh bien, cette façon de voir, ça m'a toujours exaspéré, même
quand je faisais ma première communion. Une garce antisémite est
un tas de merde, et je me contrefous de savoir si elle croyait à
la conception virginale du petit Jésus quand elle envoyait des
lettres de dénonciation à la Kommandantur; le mahatma Gandhi
était un type dont je ne suis pas digne de baiser les pieds, et
je me contrefous de savoir qu'il ne comprenait rien au dogme de
la sainte Trinité. D'ailleurs, je n'y comprends rien non plus;
d'ailleurs, j'ai tendance à penser que si je n'y comprends rien,
c'est parce qu'il n'y a rien à comprendre, à part que ça n'a
aucun sens.
La croyance n'a jamais pu tenir lieu de sens moral, et c'est
le sens moral qui seul mérite le respect -- et qui mériterait le
paradis s'il y avait un paradis. Voilà le genre de choses que je
n'ai jamais entendu dire à la messe, et c'est ce que je reproche
aux croyants.
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Ce que l'agnosticisme rejette chez les athées
Mais il y a aussi des choses qui me paraissent erronées dans
la philosophie des athées, et qui font que je ne me sens pas non
plus à mon aise parmi eux.
Les athées affirment que le monde où nous vivons est le
produit du hasard. Eh bien, figurez-vous, même si je ne suis pas
croyant, je suis absolument convaincu du contraire. Je n'en fais
pas un article de foi, car un agnostique n'a aucune foi, sinon
en la nécessité du doute (et même ça, il peut se permettre d'en
douter). Mais plus je m'interroge sur la question, plus je reste
convaincu que jamais le hasard n'aurait pu élaborer des choses
aussi compliquées et cohérentes que la matière, les phénomènes
ondulatoires, la vie, la reproduction sexuée, les arborescences
végétales, les fonctions de l'organisme.
Il se trouve que je suis programmeur, et que je passe mon
temps à essayer de mettre au point des programmes informatiques,
c'est-à-dire des phénomènes logiques dotés d'une certaine
cohérence. Jamais je n'ai réussi à mettre en branle un phénomène
de cette sorte sans mobiliser à plein mes capacités
intellectuelles. Je tiens donc l'idée que le hasard pourrait en
faire autant pour une absurdité totale.
Ca a pour moi un caractère d'évidence, c'est presque un rejet
physique. Les athées affirment que le hasard peut engendrer des
phénomènes très complexes, pourvu qu'on lui laisse quelques
milliards d'années pour y parvenir. Je tiens cette affirmation
pour un dogme scientiste -- aussi idiot que celui de l'immaculée
conception -- et une impossibilité statistique ou, si l'on
préfère, pour une sotte légende -- aussi sotte que celle de la
création du monde en six jours par un vieillard barbu.
A mon avis, nous ne savons tout simplement pas pourquoi le
monde où nous vivons existe, ni pourquoi il est tel qu'il est.
Nous ne le savons pas, c'est tout. Peut-être le saura-t-on un
jour, mais actuellement, nous l'ignorons, point barre.
Il faut des tonnes de mauvaise foi pour ne pas admettre que
le monde où nous vivons est d'une complexité sidérante. Sur le
plan scientifique, on pourrait d'ailleurs très légitimement se
contenter d'affirmer notre ignorance sur la question, et en
déduire qu'il est nécessaire de poursuivre les recherches --
sans pour autant se rabattre sur des explications
irrationnelles. On devrait pouvoir être athée tout en admettant
qu'on ne comprend pas.
Ce qui m'exaspère chez les athées, c'est qu'ils n'ont
pratiquement jamais l'honnêteté d'admettre qu'ils sont en
présence d'un phénomène dont la complexité dépasse absolument
nos capacités intellectuelles, et qu'ils prétendent détenir une
explication alors qu'ils n'en ont pas la queue d'une.
Une autre chose qui me déplaît chez les athées, c'est qu'ils
ont jeté la religion comme un bloc, au lieu de faire le tri
dedans. Ils ont rejeté les croyances irrationnelles, et ils ont
eu raison. Ils ont rejeté l'intolérance et les massacres
auxquels elle mène, et ils ont eu raison. Mais ils ont aussi
flanqué à la poubelle avec le même enthousiasme des millénaires
de lente élaboration d'un certain sens moral, et là, ils ont eu
absolument tort.
A mon avis, on a raison de tenir pour une fable ridicule
l'histoire de ce mec qui, comme disait Prévert, "guérissait les
hydropiques en leur marchant sur le ventre, et il disait qu'il
marchait sur l'eau; l'eau qu'il leur sortait du ventre, il la
changeait en vin; à ceux qui voulaient bien en boire il disait
que c'était son sang". Oui, cela est grotesque.
A mon avis, on a raison de faire observer aux chrétiens que
l'histoire de leur religion se confond pratiquement, au moins en
Europe et en Amérique latine, avec l'histoire de l'intolérance,
et que ça pose quand même un problème. On a raison de leur dire
que leur prétention à détenir la vérité a été la cause
d'innombrables massacres, des croisades aux pogroms en passant
par la conquête du Mexique et du Pérou, la Saint-Barthélémy, les
dragonnades et les sorcières de Salem.
Bien sûr, tout cela est du passé, et les chrétiens
contemporains n'en sont pas responsables. Mais on a quand même
raison de leur demander ce qui a changé dans leur façon de
penser, et qui peut nous permettre de croire que l'époque de
l'intolérance est définitivement révolue. En particulier, on est
bien forcé de relever que leur indignation n'a pas été
particulièrement bruyante quand ce vieux réac de pape a
multiplié les efforts pour empêcher l'Afrique d'utiliser le peu
de caoutchouc qui aurait suffi à sauver des millions de vies.
J'aurais aimé entendre des cathos avoir alors des indignations
sacrées; mais j'attends toujours.
Pourtant, tout cela étant dit, il n'y a pas que des sottises
et des crimes dans la civilisation judéo-chrétienne. Il y a
aussi des millénaires d'une réflexion morale qui a bel et bien
été initiée par les enseignements d'un certain Jésus de
Nazareth, et qui contient des aspects franchement respectables:
l'affirmation de la dignité de tous les hommes, et notamment des
plus pauvres; le respect dû à chaque individu; la sainteté de la
générosité; la monstruosité de l'avarice.
Ce ne sont pas là des points secondaires, c'était jusqu'à il
y a très peu le coeur même de notre civilisation. Quand j'étais
gosse, il n'y a pas si longtemps, c'était encore des choses
qu'on enseignait aux enfants -- et on les enseignait d'ailleurs
à l'école laïque tout autant qu'à la messe.
C'est une terrible régression que d'avoir renoncé à ces
valeurs-là au profit... du profit, justement. Nos sociétés
actuelles, sur les territoires qui naguère encore étaient tous
judéo-chrétiens, avec aux commandes des individus qui sont tous
des descendants de judéo-chrétiens élevés dans ces valeurs
morales-là, eh bien ces sociétés sont aujourd'hui dédiées à et
gouvernées par le seul culte du fric, du profit, de la
rentabilité. Nos gouvernants de droite comme de gauche n'ont
plus qu'une seule règle morale: en-ri-chis-sez-vous. Cela, c'est
aux antipodes de ce que mes curés et même mes instits laïcards
avaient cherché à me faire comprendre, et je tiens cette
évolution pour un très grand mal.
Il existe peut-être des athées pour le penser aussi, mais il
en existe bien peu pour le dire en chaire tous les dimanches et
l'enseigner aux enfants. Parmi les athées non plus, je n'entends
pas les indignations sacrées que je souhaiterais entendre.
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Une théologie agnostique
Pour conclure, et à titre de distraction, je peux toucher un
mot de mes hypothèses métaphysiques préférées. Elles ne
constituent évidemment pas des articles de foi, on peut même n'y
voir que des plaisanteries à deux sous. Cela dit, je pense que
ma théologie qui ne se prend pas au sérieux n'est pourtant pas
beaucoup plus bête que celle pour laquelle des religieux se sont
autorisé des croisades et des pogroms.
Au commencement était l'intelligence. Je ne sais pas si cette
intelligence était portée par un Dieu unique, par une douzaine
de dieux comme chez les Grecs, par des êtres mortels ou
immortels, par des êtres bons ou sadiques, ni si elle était
supérieure, égale ou même inférieure à la nôtre. J'ai tendance à
penser que le grand bazar que nous appelons Dieu ressemblait
beaucoup plus au réseau Internet qu'à Louis XIV: je l'imagine
plutôt comme une civilisation bruyante, remplie de
contradictions et dépourvue de projet global, que comme un
individu.
Mais enfin, quelque part, quelqu'un comprenait quelque chose.
Ce quelqu'un n'était pas tout-puissant. Quand il avait envie
d'un whisky-soda, il ne lui suffisait pas de dire: "Que le
whisky-soda soit!" pour que le whisky-soda apparaisse. Mais il
était quand même capable, en travaillant un peu, beaucoup,
passionnément, d'obtenir des résultats, et même des résultats
impressionnants.
Par exemple, une fois, le quelqu'un a passé trois jours à
disposer par terre, les uns derrière les autres, des milliers de
morceaux de sucre; et puis il a donné une chiquenaude dans le
premier morceau, et tous les autres se sont cassé la figure les
uns après les autres, en un rien de temps, exactement comme le
quelqu'un l'avait prévu; c'était très joli. Alors, le quelqu'un
s'est mis à danser de joie en disant: "Yahoo! J'ai inventé la
réaction en chaîne, je suis le meilleur!"
Et il a tout de suite ajouté: "Je vais en faire une encore
vingt fois plus compliquée."
Au bout de plusieurs milliards de milliards de milliards
d'années, à force de s'amuser avec des réactions en chaîne, le
quelqu'un (ou l'un de ses lointains descendants) n'était
toujours pas tout-puissant. Mais il avait quand même réussi à
devenir vachement balèze. En assemblant des trucs et des machins
(des atomes, des électrons, des quarks, des glaçons, des
morceaux de sucre et du whisky-soda), il a fabriqué une espèce
de super gros pétard de feu d'artifice.
Il n'avait pas tout à fait terminé ses réglages quand ses
copains sont venus boire un coup. Après avoir un peu bu --
certains ajoutent: plus que de raison --, le quelqu'un a dit à
ses copains: "Vous voyez ce bazar? Eh bien, si j'allumais la
mèche, ça mettrait en branle un phénomène évolutif d'une
complexité dont vous n'avez pas idée, les mecs. Ca créerait des
étoiles, des planètes et des galaxies -- ça, c'est ce qui est
gros --, mais aussi des amibes, des paramécies, des prions, des
insectes et des mammifères à poil dur -- ça, c'est ce qui est
petit."
Les autres lui ont dit: "Ouah, oh l'autre, arrête tes
conneries, t'es même pas cap', eh, pour qui qu'il s'prend
çui-là, il a pété une Durit."
Alors le quelqu'un s'est fâché, il a foutu le feu à la mèche,
et l'explosion l'a catapulté, lui et ses copains, à des
milliards de milliards de milliards d'années-lumière.
Depuis, la réaction en chaîne se poursuit sans que le
quelqu'un ait jamais réussi à la contrôler. Comme il l'avait
prévu, il y a des galaxies, et il y a aussi des mammifères à
poil dur. Certains de ceux-ci disent que le quelqu'un est
toujours vivant, qu'il regarde tout ça très attentivement, et
qu'il se demande bien comment il pourrait arrêter le bazar, ou
tout au moins récupérer les morceaux les plus intéressants.
D'autres affirment qu'il n'a jamais existé, ou à tout le
moins qu'il a été tué dans l'explosion.
D'autres, enfin, disent qu'ils s'en foutent éperdument: ce
dont ils sont sûrs, c'est que l'explosion a semé un sacré
bordel, et que remettre tout ça en place demande assez d'énergie
pour qu'on ne perde pas en plus son temps à discuter
métaphysique.
Et ceux-là, on les appelle des agnostiques.
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