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Vendredi 4 janvier 2002

La Pachamama et moi-même souhaitons à tous nos petits lecteurs une bonne année 2002.

Vous l'aurez peut-être remarqué, cette chronique est écrite avec des accents, des trémas et des cédilles. C'est qu'elle n'est pas expédiée depuis un cyber-café avec un clavier pourri, mais depuis l'ordinateur portable à clavier azerty de mes amis Komadina, lesquels m'ont laissé l'accès à leur maison pendant leurs courtes vacances dans la Chiquitania (partie amazonienne de la Bolivie anciennement colonisée par les jésuites; revoyez "Mission", avec Jeremy Irons et Robert De Niro, si ça ne vous évoque rien).

Sont sympas, mes copains, non? Mais évidemment, toute médaille a son revers: pendant leur absence, je suis chargé de m'occuper du jardin et des plantes. Maldición. Même à dix mille kilomètres de chez moi, je trouve toujours des gens qui me chargent d'inonder leurs plantouzes.

En plus, ici, c'est la Bolivie, où l'on connaît fort bien les ordinateurs et les lecteurs de DVD, mais à peine les arrosoirs. Pour humidifier la verte pelouse de mon amie Céline, je dispose donc exclusivement d'un tuyau en plastique dur et de mon pouce: en mettant le pouce au bout du tuyau, on arrive à faire gicler la flotte un peu n'importe où, surtout sur les lunettes et le pantalon de l'arroseur. Mais je me plains toujours, alors que la mission qu'on m'a confiée est admirablement simple: là où il y a de l'herbe, il faut arroser pour que l'herbe soit verte, et là où il n'y a pas d'herbe, il faut arroser pour que l'herbe pousse. Ah, et puis il faut arroser avec un soin tout particulier les fleurs, les plantes tropicales, les plantes importées d'Europe, les arbustes et les endroits où l'herbe est maigre. Résumons: je ne suis pas obligé d'arroser le toit, ni la terrasse, ni le chien.

Ah oui, parce qu'il faut aussi que je m'occupe du chien, ou plus exactement de la chienne. Elle s'appelle Plume, Dieu sait pourquoi car elle ressemble furieusement à une saucisse qu'on aurait habillée avec une serpillière usagée. Elle est ch'api comme il n'est pas permis (ch'api = bâtard, en quechua), pleine de poils trop longs qui font que quand elle est au repos, il est assez difficile de distinguer sa tête de son arrière-train. Mais je ne peux pas lui enlever ça: elle est très affectueuse. Sa principale façon de manifester sa tendresse consiste à suivre les gens partout en mangeant leurs chaussures (raison pour laquelle on lui a formellement interdit de monter les escaliers mais, allez savoir pourquoi, elle n'en fait qu'à sa tête).

Pour que vous acheviez de vous représenter le malheureux Jean-Luc Ancey en train d'arroser un jardin bolivien, il faut ajouter deux détails typiques. Primo, la scène se situe en contrebas du Cristo de la Concordia, gigantesque et quelconque statue de Nuestro Señor Jesucristo, bras écartés comme sur le pain de sucre de Rio; la maison des Komadina est située assez exactement sous l'aisselle droite de Jésus, genre "à vue de nez, il est 17 heures".

Deuxio, il y a le fond sonore: le bruit de la pompe. A Cochabamba, on connaît les télécommandes à infra-rouges et les téléphones cellulaires, mais pas les châteaux d'eau (à l'endroit où on en installerait chez nous, les autorités municipales de Cochabamba ont préféré installer un Christ bras écartés, voir plus haut). Le servicio municipal de agua envoie de la flotte quelques heures par jour (on ne sait jamais quand, c'est ça qui est drôle), donc les gens stockent la flotte, et ce dans des réservoirs situés sous le sol. Ah ah. Et comment c'est-il qu'on se débrouille pour faire remonter la flotte du réservoir au tuyau de plastoc et au pouce de Jean-Luc Ancey? Eh bien, on emploie des pompes brésiliennes.

Nota: en Bolivie, "brésilien" est synonyme de "camelote". Et tant pis si ça vexe les tétrachampions du Monde de foot, parce que c'est vrai.

Ces dispositifs admirablement ingénieux sont composés d'une pompe électrique particulièrement sonore ("djiiiiiiii") et d'une espèce de gros ballon métallique tantôt rouge comme le sang des patriotes, tantôt bleu comme les poubelles à papier recyclable de Plastic Omnium. Le ballon est en principe partiellement rempli d'air, partiellement rempli d'eau. La pompe sonore fait rentrer l'eau dans le ballon, ce qui comprime l'air, et l'air comprimé fait ensuite la pression, et en silence s'il-vous-plaît.

Quand la pompe est neuve, son ballon peut expulser dix à quinze litres de flotte, donc on n'entend le "djiiii" qu'une fois toutes les trois minutes d'arrosage. Mais dès que la pompe est déréglée, c'est-à-dire deux minutes neuf secondes après que son installateur a foutu le camp, le ballon bleu ou rouge n'a plus assez de pression que pour 25 millilitres de flotte, et le bruit de l'arrosage devient "djik - djik - djik - djik", c'est très charmant. A chaque "djik", la pression augmente brusquement (et Jean-Luc Ancey prend de la flotte plein la gueule), et à chaque silence, la pression tombe, et le tuyau se vide lamentablement sur les pompes de Jean-Luc Ancey.

Nota: les pompes de Jean-Luc Ancey ne sont pas brésiliennes, ce sont des pompes Paraboot, en cuir, avec des lacets.

Signalons pour en terminer avec la gloire du Brésil que ce glorieux pays-continent n'exporte pas seulement des pompes, mais aussi des douches électriques (ainsi nommées en référence aux chaises du même nom). Ces dispositifs sont totalement inconnus en Europe, sans doute parce que leurs distributeurs ne pourraient pas en vendre deux chez nous sans écoper aussitôt de trente ans de prison ferme pour mise en danger de la vie d'autrui.

La douche électrique est un instrument d'une touchante simplicité. Elle se compose de deux fils électriques reliés à une résistance (en Bolivie, la connexion est généralement faite par deux tortillons de fils de cuivre même pas entourés de chatterton), le tout étant placé dans le pommeau de la douche. Enfin, le dispositif est équipé d'un interrupteur sensible à la pression de la flotte.

Le candidat à l'électrocution se place sous la douche, tourne le robinet. Quand la pression de l'eau devient suffisante, zou, l'électricité passe par la résistance, qui chauffe et produit donc de l'eau chaude généralement pas électrifiée -- parce que l'eau tombe en gouttes, ce qui fait que le courant est coupé avant que l'eau touche la peau du cobaye.

En outre, par sécurité, quand la pression devient trop forte, le courant est également coupé, de peur que le jet de flotte soit ininterrompu de la pomme de la douche à la peau de l'électrocuté.

Je suis une mauvaise langue: les Brésiliens ne sont pas fous, et la résistance est évidemment entourée d'un matériau isolant. Du moins quand elle est neuve, parce qu'évidemment, le matériau ayant à subir et la chaleur et la flotte, se dégrade au bout d'un temps. D'où l'utilité de la sécurité susmentionnée: si la pression est insuffisante, l'électricité ne passe pas, et si la pression est excessive, le courant ne passe pas non plus.

Vous voyez ou je veux en venir? Non? (Il n'y en a pas un qui suit, c'est lamentable...) Eh bien, ce dispositif serait à peu près utilisable si la pression de l'eau était constante et facile à régler. Mais quand on joint à la douche brésilienne une pompe brésilienne, eh bien on obtient: djik - djik - djik - djik, ce qui se traduit sur la peau du douché par brûlant, glacial, brûlant, glacial. En clair, et contrairement à une légende très répandue, les inventeurs de la douche écossaise ne sont pas britanniques, mais brésiliens. Et on applaudit très fort les tétrachampions du Monde: Bra-sil, Bra-sil, Bra-sil, Bra-siiiil! Tiens, c'est marrant, ça fait presque le même bruit que la pompe.



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