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Mercredi 9 janvier 2002

Je vous écris depuis Tarija (tout à fait au sud du pays, près de la frontière argentine, pour les paresseux qui ne veulent pas regarder une carte), où je suis arrivé aujourd'hui au terme d'un itinéraire en avion pour le moins laborieux.

Si vous vous souvenez des épisodes précédents, j'avais acheté auprès de la LAB (Lloyd Aereo Boliviano, la compagnie aérienne locale) un billet circulaire me permettant de faire un circuit entre cinq villes. J'aurais dû passer deux jours à Santa Cruz (à l'est de la Bolivie, hors de la zone andine), mais je me suis mélangé les pinceaux dans les dates, ça ne collait pas avec les jours où je devais m'occuper du chien chez mes copains Komadina, donc j'ai décidé de ne visiter Santa Cruz qu'en transit entre deux avions (ça m'a fait peu de peine, car j'avais déjà visité Santa Cruz, et ça ne m'avait pas plu). J'aurais quand même dû y passer la soirée d'hier.

Malheureusement, la LAB a fait très fort, et l'Airbus Cochabamba-Santa Cruz a eu la bagatelle de trois heures de retard: je suis arrivé à Santa Cruz à minuit, de surcroît un peu fumasse après l'attente, et je suis allé me coucher directement dans le premier hôtel que mon taxi m'a trouvé (et avec un instinct très sûr, il en a trouvé un pas particulièrement bon marché, mais dirigé par un copain à lui; c'est de bonne guerre).

Comme mon vol Santa Cruz-Tarija était censé partir à l'aube, après quatre heures de sommeil, boum, retour à l'aéroport dans un taxi conduit par le frère du chauffeur de la veille (qui avait décidément le sens de la famille, encore bravo).

Le type du guichet de la LAB m'apprend que mon avion aura une heure de retard (quelle surprise), mais aussi qu'il faudra que je change de zinc, car le vol direct Santa Cruz-Tarija a été supprimé.

Et devinez où a lieu la correspondance?

Exactement: à Cochabamba, où j'avais poireauté trois heures la veille!

Cela dit, je ne me plains pas du tout, car ce coup-ci, j'ai eu droit à un hublot de Santa Cruz à Cochabamba et de Cochabamba à Tarija. Vue imprenable sur des mers de nuages très réussies.

C'est égal, la logique géographique de cet itinéraire m'échappe totalement (je recommande la consultation de la carte de Bolivie). Mais la LAB est paraît-il coutumière de ce genre de facéties. Elle est aussi capable de racheter les passagers de la compagnie concurrente, Aerosur, et en effet mon vol de la veille était mixte LAB-Aerosur (sans que ça ait de rapport avec le retard, paraît-il). Je ne comprends pas bien, mais il paraît que c'est de la bonne gestion.

Bon. Comme j'ai été assis longtemps, longtemps, j'ai pris le temps de lire le journal à fond, ce qui ne m'était pas arrivé depuis un bon bout de temps. Et comme ce journal était vraiment croquignol, je vais vous en faire un con d'ancey.

Euh, pardon: un condensé.

Nouvelle numéro un. A la frontière argentine, les douaniers boliviens baissent les bras: ils sont une demi-douzaine pour essayer d'endiguer un flot de centaines de "contrebandiers fourmis", qui transportent à dos d'hommme des produits alimentaires argentins rendus hyper-compétitifs par la dévaluation du peso argentin.

Nouvelle numéro deux. La cour suprême bolivienne doit statuer prochainement sur une demande d'extradition déposée par un juge argentin (pendant la crise, les poursuites judiciaires continuent, je crois même que les juges profitent de ce que leur gouvernement n'a pas le temps de s'occuper d'eux pour faire des choses que la diplomatie ne pourrait manquer de déplorer). Cette demande d'extradition concerne l'ex-président constitutionnel (c'est-à-dire légal) et ex-président de facto (c'est-à-dire dictateur fasciste) Hugo Banzer Suarez. Motif fallacieux: au temps de Pinochet et de Videla, le dictateur Banzer appartenait à cette espèce de syndicat de fachos qu'on appelait le "Plan Condor", et dont le principe était en gros: je te zigouille tes opposants immigrés, tu me zigouilles mes opposants émigrés. Les faits sont prescrits en Bolivie, et il est donc peu probable que Banzer soit extradé. Mais le mandat d'Interpol est quand même valide, et si Banzer quitte le pays (par exemple pour aller faire soigner son cancer aux Etats-Unis), il sera arrêté et extradé comme un vulgaire malfaiteur. A peu près comme ça a failli arriver à Pinochet en Angleterre.

Nouvelle numéro trois. Le joueur de football bolivien José Alfredo Castillo a été élu meilleur buteur mondial pour l'année 2001, avec la bagatelle de 42 buts. M'étonnerait pas qu'on le retrouve prochainement en Europe, ce coco-là. Que mes lectrices se réjouissent de cette nouvelle dont elles prétendent se contrefiche, car il est assez joli garçon.

Nouvelle numéro quatre. Divers flics boliviens haut placés dans la hiérarchie, non seulement de la police, mais aussi du parti de l'ex-dictateur Banzer (voir plus haut) sont soupçonnés d'avoir entretenu des rapports avec la bande de malfaiteurs dont je parlais dans les épisodes précédents. Ce qu'ils nient bien sûr avec la dernière énergie: oui, ce type entrait dans mon bureau tous les jours, mais vous n'avez pas idée du nombre de casse-pieds que je reçois tous les jours. A part ça et bien sûr ça n'a aucun rapport, le président de la République bolivienne (ex-vice-président de Banzer, mais il n'est pas de son parti) suggère qu'on modifie la constitution pour interdire aux militaires et aux flics de voter et les mettre ainsi à l'abri des pressions des partis politiques. Le plus ahurissant est que, d'après les micro-trottoirs du journal, la plupart des flics seraient plutôt d'accord.

Nouvelle numéro cinq. La Bolivie avec ses bateaux, c'est comme monsieur Seguin avec ses chèvres: elle n'a jamais eu de chance avec. Car la Bolivie a une marine marchande, parfaitement, généralement constituée d'un ou deux rafiots pourris achetés en solde à un armateur turc, mais qui arborent quand même fièrement les couleurs nationales. Si vous vous souvenez, la France en a récemment arraisonné un sous le motif fallacieux que c'était une épave. Eh bien, il en restait un autre: le "Golden Fish" (vachement bolivien, comme nom), dont le port d'attache était Ilo, le seul port de la planète où flotte le drapeau bolivien (le Pérou a accordé cette faveur à son voisin avec beaucoup d'élégance, mais c'est purement symbolique). Eh bien, le Golden Fish vient d'être arraisonné par la police péruvienne: on s'apprêtait à y embarquer une cargaison de 6 tonnes de cocaïne, représentant une valeur marchande de 118 millions de dollars. Je ne voudrais pas être méchant avec les narcos boliviens, mais ils auraient peut-être pu trouver plus discret comme cachette. Même si on se doute que la seule raison pour laquelle ils se sont faits prendre, c'est qu'ils se sont fait trahir par un cartel concurrent.

Nouvelle numéro six. La police de Santa Cruz a fermé une chicheria sous le prétexte futile que les marmites dans lesquelles cuisait la chicha étaient couvertes de mouches et de cafards. Sont vraiment crétins, les flics de Santa Cruz: tout le monde sait que c'est ça qui donne du goût.



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