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Mercredi 19 décembre 2001

C'est aujourd'hui mon dernier jour à Sucre: demain matin, je m'embarquerai pour Cochabamba.

J'ai visité hier, sur la place principale de Sucre, la "Casa de la Libertad", c'est-à-dire l'endroit où les notables de la ville de La Plata (ancien nom de Sucre avant l'indépendance) sont parvenus à convaincre Simon Bolivar de ne pas essayer d'intégrer le territoire du Haut-Pérou à son projet de grande Colombie, mais de lui accorder son indépendance. L'astuce qu'ils ont utilisée pour obtenir son accord a été d'une simplicité biblique: ils ont promis que le nouvel Etat indépendant s'appellerait République Bolivar (nom changé en Bolivie dans les mois qui ont suivi). Il est de notoriété publique que la vanité était le péché mignon de Bolivar, mais je crois aussi que Bolivar était assez intelligent pour comprendre que s'il n'acceptait pas, il allait se retrouver avec une guerre civile sur les bras.

Bref. La Bolivie est donc née dans ce bâtiment de Sucre, qui avait été auparavant un couvent jésuite. Aujourd'hui, c'est un musée assez hétéroclite, bien dans la manière locale, on l'on trouve aussi bien des objets authentiquement vénérables (des urnes contenant les cendres de héros nationaux, des drapeaux utilisés dans les batailles de l'indépendance et tachés du sang des soldats qui les ont soustraits à l'ennemi) que des bibelots très kitsch, comme cette collection de cannes de présidents de la République, ou cet horrible buste de Simon Bolivar sculpté dans un tronc d'arbre d'un bon mètre de diamètre.

L'après-midi, je suis retourné avec Miriam Vargas et sa Néerlandaise de supérieure hiérarchique Anne-Lise (voir les épisodes précédents) au musée de Sucre qui détient pour le moment les négatifs des photos que je suis censé contribuer à publier sur le Web (voir les épisodes précédents, bis). Cette fois, la directrice nous a fait visiter son musée, qui mérite assurément qu'on en touche un mot.

C'est un musée du tissu indigène, et il n'est pas du tout kitsch, celui-là. La directrice (dont je ne connais que le prénom, Verónica) a organisé tout le musée autour d'une seule idée: le tissu andin est une réalité vivante, qui a des racines plusieurs siècles avant la Conquête espagnole. C'est simple, mais c'est très bien démontré, à la fois par des tissus infiniment précolombiens, retrouvés dans des tombes et minutieusement débarrassés des fientes de chauve-souris qui les recouvraient, et par des tissus tellement contemporains qu'on voit même des Boliviennes vivantes en train de les fabriquer dans l'enceinte même du musée.

Les techniques de fabrication ont peu évolué. En fait, elles s'étaient simplifiées au fil des siècles, et le musée a contribué à réapprendre aux autochtones des astuces qui s'étaient perdues. Ce qui change, en revanche, ce sont les motifs, qui peuvent maintenant faire appel à des thèmes plus contemporains (un enterrement catholique, par exemple), et la virtuosité des exécutants, qui se donnent bien sûr beaucoup plus de mal depuis qu'un musée est prêt à leur acheter à prix décent leurs oeuvres les plus élaborées. Et puis, évidemment, plus le tissu est récent, moins les couleurs sont passées.

Que dire d'autre? Que sur l'insistance de Miriam, je suis allé voir la tour Eiffel de Sucre, qui est l'objet le plus laid et le plus ridicule qu'on puisse imaginer: c'est une espèce de derrick de dix mètres de haut, construit autour d'un escalier métallique à vis large comme mon bras quand je me mouche, et surélevé grâce à une armature qui évoque un peu, en beaucoup plus moche, les supports en ferraille qu'on met sous les gros pots de fleurs. Toute la Bolivie (et Miriam aussi) se paie la tête des Chuquisaqueños (habitants de Sucre, qui s'appelait Chukichaka du temps des Incas) qui n'ont jamais pu se décider à envoyer cette horreur à la ferraille.

A très bientôt depuis Cochabamba.



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