Les outils agricoles vallorcins (I)

Essai de classement des outils agricoles traditionnels vallorcins dans une typologie nationale

En France, dès les années de l'entre-deux-guerres, les machines agricoles ont fait disparaître des campagnes presque tous les outils traditionnels -- seuls ont été conservés ceux des travaux des jardins --, mais la situation est différente dans les deux Savoies. En effet dans notre pays, la modernisation s'est heurtée à ce qui est l'un des caractères principaux des exploitations agricoles savoyardes: les terres en pente.

De cette particularité, d'ailleurs observable aussi dans la plupart des régions de montagne de France et d'Europe, il a résulté que les machines agricoles, cette fois adaptées aux conditions naturelles montagnardes, ne firent réellement leur entrée dans notre pays qu'après la Seconde Guerre Mondiale.

Cependant, à Vallorcine, à cette époque, ces machines agricoles ne font pas leur apparition, puisque c'est le moment où les activités agricoles diminuent sensiblement. Les témoignages (outils conservés, photographies) et les souvenirs sont ainsi nombreux, à peine oblitérés. Actuellement il n'y a presque plus d'exploitations agricoles, il reste surtout les jardins et des prés où viennent prendre pension des animaux de plaine. Pourtant l'agriculture ayant été l'activité principale des Vallorcins depuis toujours -- elle reste suffisamment présente dans l'esprit de certains et est un centre d'intérêt pour la plupart --, ainsi une étude des outils les plus typiques utilisés se justifie.

 

REMARQUES PRELIMINAIRES. Avant de passer en revue les outils agricoles vallorcins, il semble nécessaire de faire quelques remarques préliminaires. L'agriculture, à Vallorcine, a été une agriculture de montagne, principalement tournée vers l'élevage, dont nous ne traiterons pas cette fois-ci. Ce que nous essaierons de cerner, en revanche, sera l'outillage utilisé pour cultiver et récolter: céréales, fourrage et pommes de terre.

Nous nous attacherons à étudier les seuls outils utilisés à Vallorcine, en essayant d'en préciser, le cas échéant, les particularités, les originalités, le nom patois. Il faut noter cependant que pour ce faire, il nous faudra utiliser un classement valable pour les outils en général. Nous adopterons donc dans cet article, chaque fois que cela se justifiera, la typologie élaborée aux A.T.P. (Musée des Arts et Traditions Populaires.)

 

PREPARATION DES SOLS. Nous commencerons notre voyage dans les outils agricoles vallorcins en regardant tout d'abord les outils servant à la préparation des sols.

Percussion posée. Nous distinguerons parmi eux une première série: les outils à bras et parmi ceux-ci, en premier les outils à percussion posée. Ce sont les outils que l'on pose sur le sol avant d'attaquer celui-ci: outils du type bêche. La lame de ces outils est fixée dans le prolongement du manche.

A Vallorcine, pour préparer le sol d'un champ, on apporte du fumier, soit pendant l'hiver à l'aide d'une luge munie de planches sur le côté, soit déjà à l'automne, ou au printemps, avec une hotte (bnéte). On le met sur le champ par petits tas et on l'épand avec la traïn (ou trident, ainsi nommé malgré le nombre de dents: elle en a en effet quatre ou cinq, qui sont recourbées et en métal). Par sa forme, la traïn est rattachable au type de la fourche-bêche, qui est utilisée de préférence à la bêche lorsque la terre est trop compacte, caillouteuse, car ses dents pénètrent plus facilement dans le sol. L'usage de la traïn ici présenté n'est évidemment pas celui de la fourche-bêche.

Percussion lancée. Pour préparer les champs de pommes de terre, on va se servir d'outils à percussion lancée, c'est-à-dire d'outils qu'on projette pour attaquer le sol: outils de type houe. La lame de ces outils forme un angle avec le manche.

Les houes ont un rôle important et varié: elles coupent la terre, l'émiettent, la retournent (sans ramener en surface les couches profondes du sol, à la différence de ce que peut faire la bêche). Elles égalisent le sol, tracent des raies, dressent des buttes. Il y a de nombreuses variantes suivant la forme et les dimensions des parties travaillantes, l'angle formé par ces parties et le manche et la longueur de celui-ci, dont dépendent certaines attitudes de travail de l'utilisateur. Elles peuvent posséder une ou deux parties travaillantes. Nous allons en voir quatre exemples maintenant à Vallorcine.

Pour préparer un champ, on va d'abord soulever la terre, seulement pour ameublir mais sans retourner, ceci avec un solévieu, ce qui équivaut à la labourer, puis on finira le travail en tournant (retournant) avec le fasseu.

Pour un champ en pente le travail présente une particularité notable: on va devoir faire la teppe pour éviter que la terre ne s'accumule vers le bas au fil des années. On commence par bien repérer les limites du champ, puis on découpe les mottes (teppes) de sa partie la plus basse avec la delabre et on les soulève avec le solévieu. Après avoir disposé la bnête sur un trépied (le tsardjieu) afin de pouvoir la charger sur les épaules, on y place les teppes qu'on remonte au sommet du champ. On découpe ainsi selon la raideur de la pente deux ou trois raies représentant au total de 60 à 80 cm (la largeur des teppes est elle-même variée). La première raie une fois transportée on soulève la seconde avec le solévieu, elle se "tourne" seule, de même pour la troisième éventuelle. Quant à la terre qui se trouve mise au jour une fois la teppe enlevée, on en extrait les cailloux et on l'enlève avec une pelle après l'avoir piochée. Enfin, on utilise le betcheu pour ameublir la motte transportée avant de déposer par-dessus la terre pelletée.

Disons simplement en ce qui concerne la seconde série d'outils servant à préparer les sols: les outils ou instruments attelés, qu'on ne s'en est pas servi à Vallorcine, où il n'y a jamais eu, par exemple, de charrue.

 

OUTILS SERVANT AUX PLANTATIONS ET AUX SEMAILLES. Après avoir préparé les sols, on plante et on sème. Les outils utilisés à cet effet méritent, eux aussi, notre attention. Pour semer les céréales, on se sert d'un sac à semer: le vagni. C'est le seul ustensile utilisé pour cette opération.

Pour planter les pommes de terre, on les apporte avec la bnéte et on les jette à la volée sur le sol. Pour les planter, on ne trace pas des raies (ce qui est typiquement vallorcin!). A l'aide d'un capion, on ouvre la terre par places sur dix centimètres environ, on y introduit le tubercule et on referme. Le capion, qui est une houe puisque sa partie travaillante fait un angle avec le manche, est ici utilisé comme plantoir.

Pendant la période de pousse des pommes de terre, au bout d'une quinzaine de jours, et avant la levée, on devra les biner, arracher les mauvaises herbes: les rototser avec un rototcheu. On laisse donc les mauvaises herbes ainsi au soleil pour les faire sécher afin qu'elles ne prolifèrent plus. Plus tard, quand les pommes de terre sont levées, on les capine avec un râtelet à trois dents plates en fer forgé.

Ces outils sont bien sûr à rattacher au type du râteau. Les râteaux sont composés d'une traverse de bois sur laquelle sont fixées des dents et un manche. Les dents peuvent former une seule rangée ou une double rangée. Le manche est fixé, par rapport à la traverse, perpendiculairement ou obliquement. Les râteaux à une rangée et à manche droit servent à râteler, ramasser, rassembler (fourrage dispersé après le fanage, paille éparse qu'il faut réunir pour la mise en meules ou pour le chargement, feuilles tombées encombrant un champ ou un jardin). Tout en fer, il sert pour le jardinage; en particulier à égaliser la terre meuble. Il serait intéressant de procéder à un inventaire exhaustif, à la lumière des indications ci-dessus, des râteaux utilisés à Vallorcine.

 

Nous verrons dans un prochain numéro les outils employés pour les autres travaux agricoles. En attendant, si le lecteur veut en savoir plus, il sera le bienvenu à l'exposition qui se tiendra à la Maison de Barberine (Musée Vallorcin) du 15 juillet au 15 août. Là il pourra voir certains des outils traités ici ou qui seront traités la fois prochaine. A cette occasion, nous serons heureux de pouvoir recueillir tous les renseignements et toutes les corrections que certains pourront apporter à nos propos. Merci d'avance et à bientôt. Arvi pas!

Françoise et Yvette Ancey

Nota: Le classement typologique utilisé dans cet article est celui des A.T.P. (Techniques de production: l'agriculture, par Mariel J. Brunhes Delamare et Hugues Hairy).

Merci à M. et Mme Camille Ancey pour leur aide et leurs renseignements pertinents.