Bonaventure Burnet,
mon grand-père

Le 13 juillet 1860 naissait Joseph Bonaventure Burnet, fils de Joseph-Marie et de Philomène Charlet. Il fut baptisé le 14, et du fait du récent rattachement de la Savoie à la France, ce fut le premier baptisé français de Vallorcine.

Le 28 août 1870, sa mère Philomène décédait brusquement, le laissant avec sa soeur Geneviève à la garde de leur père. Sa jeunesse ne fut pas rose; il me disait qu'étant enfant, s'il y avait des mouches dans sa soupe, il ne les enlevait pas: cela lui apportait un supplément.

Il fut certainement dans les derniers à "aller berger" en Tarentaise, à la Plagne de Macot par les cols de Voza et du Bonhomme.

Avant de partir pour le régiment, il construisit avec son père la grange à blé et le moulin à vent qu'on peut voir sur la photo de la page 5.

Après tirage au sort, il partit le 10 novembre 1880 pour le 2e régiment d'artillerie de Grenoble et fut démobilisé le 20 février 1885. A son départ le train ne dépassait pas Annecy. A son retour, il allait jusqu'à la Roche.

Atteint par la limite d'âge, mon grand-père ne fut pas mobilisé en 1914-1918.

Le 17 février 1886, il épousa Julie Mermoud, du Plane Envers. Ce fut un très bon parti, tout d'abord une excellente cuisinière, mais qui apportait aussi beaucoup de terres cultivables, des vignes à Martigny et de l'argent, d'où l'achat de deux vaches supplémentaires.

Jeune marié, Bonaventure fut très dur pour son épouse, nécessité faisant loi: en plus de son travail ménager, elle dut lui apporter les pierres sur l'échafaudage lors de la transformation de leur maison et de la construction d'un grenier. Le transport s'effectuait avec un "oiseau", sorte de hotte sans bretelles que l'on tenait avec les deux mains. Ma grand-mère fut cependant gâtée: elle possédait, chose rare, l'eau courante sur l'évier de sa cuisine, creusé dans un bloc de granit (lequel, lors de la pose, lui écrasa les doigts).

Le 18 juillet 1887 naissait leur premier enfant Camille (mon père), le 30 janvier 1889 le deuxième, Alfred. Le 13 juillet 1893 fut à la fois jour de joie et de deuil: naissance de la première fille Marthe, mais aussi, malheureusement, noyade accidentelle d'Alfred dans le bassin de la maison.

Le 10 novembre 1908, mon grand-père voit mourir son propre père Joseph-Marie.

Le travail de la terre, la garde et la traite des vaches, constituaient son activité principale. Mais, très habile de ses mains, il construisait aussi à la forge ou à la menuiserie ses propres outils, dont beaucoup existent encore. Il faisait des roues, des seilles, etc. L'été, il partait quelquefois plusieurs semaines pour construire des pêles, en Suisse ou ailleurs.

Il avait fabriqué un fusil à plombs, calibre 14, à broche. Ce fusil fut réquisitionné lors de la deuxième guerre mondiale et n'a pas été rendu. A ses temps libres, mon grand-père aimait "la braconne": chasse aux chamois (cf. photo page 5), marmottes, coqs de bruyère, et aussi le déterrage des marmottes (intéressantes avant tout pour leur graisse).

Devenu vieux, il aimait regarder à la longue-vue les allées et venues du gibier dans la montagne et signalait à ses fils et petits-fils leur présence et leurs mouvements.

Aux environs de 1920-1925, un très grave accident de bûcheronnage l'immobilisa plusieurs mois: un mélèze, en glissant, lui passa sur le corps, lui cassant toutes les côtes du même côté. Il en réchappa et, lorsque j'étais enfant, il me montrait son thorax: cela ressemblait aux doigts qui dépassent lorsqu'on se croise les mains.

C'était un homme très honnête, très droit, très réaliste aussi. Un jour, une personne lui demanda comment il allait. "Je vais très bien", répondit-il, et il ajouta: "Je vais à grands pas. -- Où allez-vous à grands pas? -- Je vais à la mort."

Son épouse Julie le quitta le 27 janvier 1940. Un jour où il fendait du bois, se sentant certainement sur sa fin, il demanda à sa petite-fille d'aller chercher le prêtre pour se confesser. Il décéda le 14 décembre 1948, à 88 ans. Sa mort fut comme sa vie: sans bruit.

Pour sa sépulture, il fut porté à dos d'homme sur le chemin de son baptême: la vieille route, le verglas rendant la nationale impraticable.

Marc Burnet