Histoire d'une cloche

Il était une fois un vieux prêtre, l'abbé Claret (1), retiré du saint ministère et revenu dans sa paroisse natale. Ayant probablement une certaine fortune, il avait fait construire près de chez lui une chapelle, presque une église, avec un clocher pourvu d'une cloche unique. Plus tard, le clocher de la chapelle, tombant en ruine, devint dangereux et fut abattu.

Par la suite, la guerre sévit entre la France et l'Allemagne. Il fut question d'assurer la victoire grâce à "l'acier victorieux" (2). La guerre durant, la pénurie était venue et le gouvernement d'alors ordonna que tous les citoyens apportent sur les quais de gare leurs détritus ferrugineux. La cloche fut donc descendue jusqu'à la gare de Vallorcine, où elle échoua inutilisée sur le tas de ferraille de l'endroit. On l'offrit aux établissements Paccard d'Annecy, qui n'en voulurent pas.

Un jour, j'étais avec une équipe en gare de Vallorcine quand je reçus un coup de téléphone de mon chef de dépôt, M. Treuillon. Il me demandait, avec l'aide de mes camarades, de charger cette cloche sur un wagon envoyé pour cela, puis, une fois à la gare du Fayet, de la conduire près de son domicile, dans son jardin; renversée, elle devait faire une superbe vasque. Tout cela fut fait à sa grande satisfaction. Fin du premier acte.

Le curé de la paroisse, M. Domanget, avait construit une église avec clocher, mais démunie de cloche. Passant près du jardin, il s'avisa que cette cloche aurait très bien fait son affaire. M. Treuillon voulut bien la lui remettre. Elle fut, au cours d'un séjour au dépôt du Fayet, munie d'un battant, puis avec l'aide d'une équipe de cheminots, hissée dans le dit clocher. Depuis, la cloche qui avait bercé mon enfance a reçu du renfort, mais elle berce encore mes vieux jours.

Jules Ancey

Jules Ancey est né à Barberine le 28 juillet 1904 (on peut voir sa mère et sa grand-mère arrachant les pommes de terre sur la carte postale reproduite en couverture du n° 2 de la revue). Après avoir contribué à l'installation électrique d'un certain nombre de maisons de Vallorcine dans sa jeunesse, il entra aux chemins de fer en 1937, comme l'avait fait avant lui son père Séraphin. Il prit sa retraite au Fayet.

Il est mort à Mornex le 12 avril 1991, peu après avoir rédigé cet article et contribué à cette revue. Il est le père, le grand-père, le beau-frère ou l'oncle des fondateurs de l'association.

(1) Claude-Louis Claret, né et mort à Vallorcine (1805-1895), curé de Marlioz de 1852 à 1894. Cette même année, il se retira dans sa paroisse natale où il fonda le vicariat. Sa pierre tombale figure au cimetière de Vallorcine.

(2) Slogan fameux de la "drôle de guerre".