VIVRE A VALLORCINE AUTREFOIS

Activités hivernales:
filage et tissage

Cette année, E v'lya propose à ses lecteurs une nouvelle rubrique Vivre à Vallorcine autrefois, dans laquelle nous souhaitons évoquer la façon de vivre de nos ancêtres dans leur travaux, dans leurs loisirs aux différentes saisons. Dans cette optique, nous avons choisi dans ce n° 4 de nous intéresser d'abord au filage et au tissage. Ces activités ont d'ailleurs fait l'objet de l'exposition annuelle du musée l'été dernier.

A Vallorcine, on achetait peu à l'extérieur, aux colporteurs on n'achetait que des rubans, des épingles, des livres, des remèdes... La plus grande partie des outils, des vêtements, des chaussures était faite sur place. Il y avait quelques artisans spécialisés: meunier, forgeron, cordonnier... mais l'essentiel était confectionné par chacun, chez soi, pendant les quatre ou cinq longs mois d'hiver où le travail aux champs était impossible.

La confection des draps, des étoffes, illustre bien cet aspect caractéristique de la vie d'autrefois à Vallorcine. Il n'y a pas si longtemps, lors de la Seconde Guerre mondiale, cette aptitude à se suffire s'est encore manifestée: après une ou deux générations d'interruption, on a filé à nouveau dans la vallée.

 

Le filage

De tous temps filer a été principalement l'affaire des femmes. Filer consiste à transformer des mèches de laine ou des fibres de chanvre ou de lin en fils. A Vallorcine, comme à peu près partout dans le monde, on a utilisé d'abord le fuseau (cf. dessin page suivante) et la quenouille, ensuite le rouet, perfectionnement ingénieux qui a permis une plus grande efficacité du travail (cf. photo ci-dessous).

Filer était certes une nécessité matérielle, mais comme beaucoup des activités de la civilisation paysanne, elle était source pour toute la communauté de contacts humains et d'échanges. Par exemple, pendant l'hiver, le soir à la veillée, les femmes filaient tout en bavardant, en échangeant des nouvelles ou des histoires. Filer était aussi l'occasion de développer une dextérité manuelle remarquable. Celui qui veut apprendre aujourd'hui peut très facilement s'en rendre compte.

A la veillée, les hommes de leur côté trouvaient dans l'activité du filage l'occasion de manifester leur habileté, car ils réparaient les rouets, leur ingéniosité car ils inventaient des perfectionnements au système d'enroulement des fils sur les bobines, etc. Pour d'autres, les fiancés par exemple, le filage permettait de manifester un sens certain du beau. En effet ils offraient à leurs promises des "pieds de quenouille" (supports pour les quenouilles) superbement sculptés de motifs floraux ou géométriques traditionnels dans la vallée (cf. photo de la page suivante). Aujourd'hui encore, ces beaux objets ornent souvent les maisons des Vallorcins de souche ou d'adoption.

 

Le tissage

Tisser consiste à tendre sur un métier des fils de chaîne avec un ourdissoir qui permet d'en préparer une grande longueur, et à entrecroiser des fils de trame de manière à obtenir une étoffe. On tissait aussi bien le chanvre et le lin que la laine. Avec le chanvre on confectionnait surtout les draps, le linge de maison, avec le lin le linge de corps, les chemises, les mouchoirs. En laine, on faisait les couvertures, le drap pour les habits. A Vallorcine on faisait aussi un tissu moins chaud mais plus solide que la laine appelé "mi-laine": la chaîne était de lin et la trame de laine.

Quand on pénètre dans un vieux pêle on remarque souvent des trous dans la paroi de bois et dans le plancher; c'est là que l'on fixait le métier.

Au début de l'hiver, on montait le métier qui avait été entreposé en pièces détachées durant toute la belle saison dans un coin de la maison. On installait ensuite l'ourdissoir arrimé dans le plancher et dans une poutre du plafond et l'on ourdissait le métier. Cette opération était si longue et minutieuse que l'on essayait de la faire le moins souvent possible. On tissait ainsi pour cette raison jusqu'à soixante-dix mètres du même tissu que l'on enroulait au fur et à mesure sur l'ensouple du métier.

Le tissage tout comme le filage, parce qu'effectué à l'intérieur de la maison, resserrait les liens familiaux. Les enfants eux-mêmes associaient leurs jeux à ces activités. Certains de nos anciens se souviennent avec plaisir des parties de manège qu'ils ont faites sur l'ourdissoir.

Le tissage était aussi l'occasion de manifester une certaine fantaisie. Elle s'exprimait en particulier dans la disposition des points, des couleurs. Il existait plusieurs manières de disposer les fils suivant qu'on utilisait le point de "serge", de "toile" ou de "chevron". Les couleurs permettaient aussi d'exprimer sa personnalité. On pouvait employer la laine en son état naturel écru, marron ou noir; ou teindre les fibres grâce à des sucs végétaux ou des produits minéraux en noir, bleu, rouge, rose, violet, vert... En mariant les couleurs de façon personnelle et en variant la largeur des raies, chaque famille obtenait des tissus qui lui étaient propres. Certaines familles montrent encore avec fierté des fragments de "touède" tissés et portés par leurs aïeux.

Autrefois, il était indispensable pour nos ancêtres d'accomplir eux-mêmes de nombreux travaux que nous ne faisons plus aujourd'hui. Ceux-ci, quoique souvent fort pénibles, favorisaient cependant un art de vivre que nous découvrirons à l'occasion d'autres articles.

Françoise et Yvette Ancey