UN PERSONNAGE VALLORCIN

Joseph Ancey 1827-1924

Il suffit de regarder les dates de cet authentique Vallorcin (né et mort au pays; il était du Crot) pour comprendre la raison qui fait que nous braquons aujourd'hui sur lui notre lorgnette. Il est, de mémoire d'homme, celui qui a vécu le plus longtemps dans la vallée, le champion de la longévité vallorcinne.

Il se maria en 1851 avec Anne-Marie Charlet (1825-1889), du Crot également (en raison du patronyme de sa femme -- et de sa prononciation patoisante --, on l'appelait "Joseph à la Tserlette"). Il est le père d'une très nombreuse famille, cinq garçons et quatre filles: Joseph, Delphine, Alphonse, Marie, Félix, Lydie, Agathe, Jean, Elie. Son bulletin de mariage indique qu'il était "cultivateur".

Nous savons que ce patriarche inspirait un grand respect à tous ses enfants, respect qui se traduisait encore en ce temps-là par le "vous" (mais les parents, eux, disaient "tu" à leurs rejetons). L'éducation était alors très stricte, sévère même, surtout pour les jeunes filles qui n'obtenaient que rarement la permission d'aller danser.

Cette sévérité n'étouffait cependant pas les personnalités. Toute cette famille avait la réputation d'être musicienne et plusieurs d'entre eux jouaient d'un instrument sans avoir jamais appris: Alphonse jouait du violon, Elie de l'accordéon, si bien qu'il animait des bals et différentes fêtes; sans doute est-ce lui qui figure sur la photo de conscrits que nous reproduisons ci-dessous. Il devait d'ailleurs mourir, jeune, en 1906, d'une congestion contractée au sortir d'un bal où il faisait sans doute très chaud. Félix, le gendarme, dessinait très bien et faisait de remarquables portraits au fusain; c'est probablement lui qui a repris ou retouché au fusain le portrait de son propre père, Joseph, photographié en 1892, que nous avons exposé l'an dernier au musée et reproduisons ici (photo ci-contre).

De cette nombreuse famille, trois seulement passèrent leur vie entière à Vallorcine: Delphine, Elie et Jean (qui devait être victime d'un accident mortel dans sa scierie des Plans, en 1927). Les autres, soit se marièrent et vécurent dans la proche région (Servoz, Argentière), soit s'expatrièrent jusqu'à Paris où ils se marièrent... avec d'autres Savoyards, exilés comme eux, pour revenir ensuite vivre en Haute-Savoie.

Agathe, qui avait épousé un Domancherot, Alfred Ramus, momentanément parisien, revint s'établir avec lui à La Pallud, Domancy, à la suite d'un héritage. Son frère Alphonse, devenu veuf très tôt, s'en revint un temps, dans les années vingt, travailler comme cordonnier à Vallorcine, au Morzay. Il termina sa vie à La Pallud, auprès de sa soeur Agathe, laquelle, devenue veuve, avait épousé en secondes noces Louis-Aimé Ancey, de Barberine, veuf lui-même d'Adèle Claret, du Nant.

Le 18 août 1889, Anne-Marie Charlet, femme de Joseph, mourut à Vallorcine. Le vieil homme s'en alla alors vivre aux Plans chez sa belle-fille Philomène, femme d'Elie. Devenu désormais solitaire, il prit plaisir à aller rendre visite à ses enfants dispersés.

Il n'hésitait pas à aller jusqu'à Paris, où sa fille Agathe était "en place", comme on disait, c'est-à-dire femme de chambre; et il en profitait pour visiter la capitale. Lorsqu'il tardait à rentrer en fin de journée, sa fille se faisait du souci: "Vous finirez par vous perdre, lui disait-elle, dans cette grande ville que vous ne connaissez pas. -- Ne t'inquiète pas, répliquait-il, je me repère aux monuments." Effectivement, cet habitant d'une "vallée perdue" savait tout des monuments parisiens, car il était avide de connaissances et avait toujours énormément lu pendant les loisirs forcés de l'hiver.

Il a laissé parmi ses descendants le souvenir d'un homme sévère, mais juste et droit. C'est auprès de sa petite-fille Marcelle Ramus, fille d'Agathe (elle vient de mourir en février 1992, à quatre-vingt-onze ans) et de son arrière-petite-fille Olga Ferigo, à La Pallud, que nous avons pu recueillir témoignages et photographies.

Yvette Ancey