Les Vallorcins mécontents de leur curé

Quand, dans le procès-verbal de la séance du 19 germinal an II, on voit le conseil municipal parler du "temple de la Raison" et des restes à extirper "du fanatisme inventé pour tromper les imbéciles", il y a toute raison de penser qu'il s'agit là de la "langue de bois" antireligieuse imposée par les circonstances.

La fidélité des Vallorcins à l'Eglise se voit au contraire dans le fait qu'il est signalé à plusieurs reprises qu'on n'a pas pu "acenser" (c'est-à-dire vendre pour la République) les biens de la cure. Au contraire, le conseil municipal s'emploie à maintenir les terres en état. Il les fait cultiver à ses frais, comme en témoigne le procès verbal d'une séance du conseil municipal (23 pluviôse an II): la municipalité a "fait cultiver [ces terrains] par des ouvriers qu'elle a payés suivant l'usage du lieu, et y ont vaqué le nombre de journées ci-après: 45 journées pour relever les pierres que les avalanches entraînent annuellement sur le dit bien, plus 111 journées pour labourer, porter le fumier et ensemencer les dits biens, plus 65 journées, tant pour faucher que pour faire l'engrangement des fourrages et 39 quarts de blé (1) mêlé en avoine, orge et seigle, pesant environ quatorze livres le quart, le dit grain acheté et payé par la municipalité une livre (2) 14 sols, alors livres de la ci-devant Savoie, chaque quart."

Cette manifestation d'intérêt pour les biens de l'Eglise, assortie du refus de laisser les terres infructueuses, sera fort mal récompensée, et le conseil s'en plaint vigoureusement par deux fois, le 9 novembre 1793, puis dans le procès-verbal en date du 23 pluviôse an II (février 1794) (voir document ci-dessous). Les chevaux des armées piémontaises ont déjà mangé tous les foins récoltés par la commune sur les biens de l'Eglise, et voici que le curé ajoute encore à l'injustice:

Transcription du texte ci-contre: "Le dit curé du dit lieu, pendant le séjour des dits Piémontais dans le Haut-Faucigny, a eu soin de faire battre aussitôt et d'enlever tous les blés (3) des fourrages en paille qui existaient dans la dite cure dont les fonds (4) après dues publications et par défaut de miseurs n'auraient aucunement pu s'expédier à prix d'accusement, étant à ces fins tous les dits fonds restés à la charge et sous l'administration de la municipalité qui les aurait ensemencés et fait cultiver et qui se trouve en pure perte..."

(1) Le mot blé désigne ici diverses céréales.

(2) Il s'agit bien sûr de la livre de monnaie, valant vingt sols ou sous, et non de la livre de poids.

(3) Tous les grains.

(4) Les biens fonciers.