RICHESSES NATURELLES
Le pays vallorcin est caractérisé par la juxtaposition de terrains géologiques très variés, comme le montre la carte simplifiée de la page suivante. Une architecture aussi complexe est le résultat d'une longue histoire dont la présentation mérite d'être tentée, bien que ce soit une véritable gageure!
Le savant genevois de Saussure a soupçonné, dès la fin du 18e siècle, que des "refoulements latéraux" étaient responsables des structures géologiques complexes observées dans les Alpes, notamment à Vallorcine. Cette hypothèse fut vérifiée bien plus tard et chacun sait, maintenant, que ces refoulements latéraux sont dus à la compression de l'écorce terrestre lors de la collision entre les continents africain et européen. La collision, qui se déroula principalement pendant l'ère tertiaire, est responsable de la formation de la chaîne alpine telle que nous l'observons aujourd'hui. Elle déforma et bouleversa les terrains qui s'étaient progressivement constitués et structurés au cours des ères géologiques précédentes.
Le pays vallorcin fait partie des Alpes Externes, région située, avant la collision alpine, sur la bordure sud du continent européen. Il est constitué d'une part des très vieilles roches du continent européen formant ce qu'il est convenu d'appeler le socle primaire des Aiguilles Rouges et, d'autre part, des roches plus récentes déposées sur le socle pendant l'ère secondaire, au niveau de la bordure immergée du continent européen.
L'histoire du socle des Aiguilles Rouges a débuté, il y a de cela plus de 500 millions d'années, par le dépôt de sédiments sur le fond d'un océan. Plus tard, au cours de l'ère primaire, les continents bordant cet océan se sont rapprochés puis sont entrés en collision, entraînant ainsi la formation d'une immense chaîne de montagnes à la place de l'océan disparu. Des fragments de cette chaîne de montagnes, appelée chaîne hercynienne, sont encore visibles en France, par exemple dans le Massif Armoricain ou dans le Massif Central. Lors de l'édification de la chaîne hercynienne, les roches qui s'étaient antérieurement déposées au fond de l'océan ont été intensément déformées, souvent enfouies à grande profondeur. Certaines se sont transformées en des roches massives, souvent rubanées et orientées, répondant au nom très général de gneiss. D'autres ont fondu partiellement, donnant des magmas qui se sont mis en place dans les gneiss où ils se sont solidifiés sous la forme de granites. Alors que la chaîne hercynienne se constituait, l'érosion attaquait les sommets. Les produits de démantèlement s'accumulaient au pied des montagnes. C'est ainsi que se formèrent les fameux poudingues de Vallorcine, décrits par de Saussure en 1776 et 1784, au-dessus des Saix Blancs.
A la fin de l'ère primaire, il y a environ 250 millions d'années, le pays vallorcin était, comme toute l'Europe moyenne, une région à relief très adouci où l'érosion avait mis à nu les gneiss et granites formés à des profondeurs de 10 à 20 km des dizaines de millions d'années plus tôt. C'est alors qu'un nouvel océan a commencé à envahir le continent arasé, en provenance du sud. Le pays vallorcin a tout d'abord été en bordure de cet océan. De grands reptiles vivaient alors dans ces contrées, laissant leurs empreintes dans les sables des plages. C'était il y a environ 230 millions d'années. Puis, peu à peu, l'océan a envahi les terres. Pendant une partie de l'ère secondaire, la sédimentation plus ou moins abondante de boues de natures variées s'est poursuivie. Ces boues se sont transformées au fil du temps en roches sédimentaires dures et cohérentes, connues sous les noms de grès, argilites et calcaires.
Vers la fin de l'ère secondaire, il y a environ 110 millions d'années, le continent africain a commencé à dériver vers le continent européen, provoquant la fermeture progressive de l'océan qui avait recouvert le pays vallorcin pendant une grande partie de l'ère secondaire. Au cours de l'ère tertiaire, il y a environ 50 millions d'années, les continents africain et européen ont fini par entrer en collision, provoquant la formation de l'arc alpin. Les roches des deux continents se sont plissées et se sont cassées sous l'effet des forces de compression. Dans le pays vallorcin, trois grands ensembles de terrains se sont alors individualisés.
a) Des écailles du vieux socle hercynien enfoui sous les dépôts océaniques ont percé leur couverture sédimentaire. Ces fragments de socle ont été portés à haute altitude par des mouvements verticaux de l'écorce terrestre et dégagés par l'érosion. C'est ainsi que sont apparus les massifs gneissiques et granitiques des Aiguilles Rouges et du Mont-Blanc. Dans le pays vallorcin, les gneiss hercyniens exhumés par les poussées alpines, affleurent sur les deux flancs de la vallée (du Vallon de Bérard jusqu'à Emosson à l'ouest et dans la partie basse de la Montagne des Posettes à l'est) alors que le granite de Vallorcine s'observe au fond de la vallée.
b) Des lambeaux de roches sédimentaires adhérant au socle ont été entraînés avec lui à haute altitude par les forces alpines. Ils constituent ce qu'il est convenu d'appeler la couverture sédimentaire du socle. Cette couverture s'observe entre le Col des Posettes et le Béchat, sous forme de calcaires plus ou moins schisteux, et du Col de Salenton au Col de Barberine en passant par le Col des Corbeaux, au niveau d'une bande étroite de grès et argilites.
c) Des masses énormes de roches sédimentaires se sont au contraire désolidarisées du socle et, poussées par le continent africain, ont été charriées par-dessus les gneiss, les granites et la couverture sédimentaire. En glissant, elles se sont déformées intensément, notamment par plissement. Ces roches ayant subi des déplacements kilométriques, constituent des nappes de charriage. Le Buet, le Cheval Blanc ou la Pointe de Finive appartiennent à une telle nappe, appelée Nappe de Morcles. Ces sommets sont constitués de schistes gris affectés de plis tout à fait spectaculaires.
L'architecture géologique complexe du pays vallorcin, représentée sur le document ci-dessus, est donc le résultat des déformations alpines récentes affectant des terrains plus anciens. Les forces exercées par le continent africain sur le continent européen ont eu notamment pour effets d'entraîner les plages où se promenaient les dinosaures à plus de 2 000 m d'altitude et de déplacer des masses énormes de roches. Les glaciers et les torrents ont bien évidemment sculpté les reliefs au cours des derniers milliers d'années, mais ils n'ont fait qu'égratigner les structures géologiques élaborées au cours de la longue histoire du pays vallorcin.
Nicole Le Breton