LA PAGE DE PATOIS

"La né de Tsalande"

La né de Tsalande, la messa de mi

La nuit de Noël, la messe de minuit

Âtro cou, la né de Tsalande, v'lya deu dzouar, ére preu marca.

Autrefois, la nuit de Noël, veille du jour, était assez remarquable.

Dè vouèt re, lou pi dzouno alâvan dremi; l'pâre metchè on grenyon daeu l'foyi deu fouarnè de pire deu pèlo

Dès huit heures, les plus jeunes allaient dormir; le père mettait un gros morceau de bois dans le foyer du fourneau de pierre du pèle,

pè qyè l'gran-pâre qyè poyè pa sourti é qyè velyive, li raeu cota eu fouarnè,

pour que le grand-père qui ne pouvait pas sortir et qui faisait la veillée, les reins contre le fourneau,

é la gran-mâre qyè s'itseudâve lou pia a la tsôdan-na

et la grand-mère qui se réchauffait les pieds contre la pierre du foyer,

é l'âvo, qyè restâve seu é ére v'nu passa la v'lya avouè son frâre,

et l'oncle, qui vivait seul et était venu passer la veillée avec son frère,

n'ôssan pa frè.

n'aient pas froid.

Pè vè li andj re to l'monde valido alâve se presta pè ala a la messa:

Vers les onze heures, toutes les personnes valides allaient se préparer pour aller à la messe:

la mâma dissonâve lou ptchou é, on cou presto, è rota pè ala è l'ize.

la maman réveillait les petits et, une fois prêts, en route pour aller à l'église.

Can i fachè frè é maeu taeu é qy ére topo, l'pâre almâve na bouji daeu la lantirna.

Quand il faisait froid et mauvais temps et qu'il faisait sombre, le père allumait une bougie dans la lanterne.

Sè la vi n'ére pa bouna é la nè fritsa, a metchè lou ferchlyo pè fâre la trassa,

Si le chemin n'était pas bon et (si) la neige était fraîchement tombée, il mettait les raquettes pour faire la trace

é è ligne to l'monde alâvan bon traeu pè arva a l'ra.

et, à la file, tout le monde allait bon train pour arriver à l'heure.

È l'ize, fachè pa tsô: on perseviè toca li soqe de chleu qy ayan frè i pia,

A l'église, il ne faisait pas chaud: on entendait frapper les "soques" de ceux qui avaient froid aux pieds,

mé can y ére l'momaeu de c'maeuchi la messa, on aru perchu vola na moutse.

mais quand c'était le moment de commencer la messe, on aurait entendu voler une mouche.

Can l'tsantre ètonâve l'Tédéon, i passâve cm'on frisson daeu l'afaeubla,

Quand le chantre entonnait le Te Deum, il passait comme un frisson dans l'assemblée;

Can l'tsantre ètonâve l'minè cretien y ére onco pi solanel.

quand le chantre entonnait le "Minuit, chrétiens", c'était encore plus solennel.

Y è n ayè preû pè dire apré: al a tsanta biô. Lou moqyeran de dire: i fachè traeubla la vouta.

Il y en avait beaucoup pour dire ensuite: "Il a chanté beau"; les moqueurs de dire: cela faisait trembler la voûte.

A côza deu frè l'ècoura ne fachè pa d'sermon.

A cause du froid, le curé ne faisait pas de sermon.

La messa fornèta, chleu qy ayan onco d'bouji almâvan la lantirna,

La messe finie, ceux qui avaient encore de la bougie allumaient la lanterne,

chleu qy ayan prè lou ferchlyo lou tsertivan eu fan de l'ize eu lyeua yo il z avan lâcha; li fissèle éran tote dzala.

ceux qui avaient pris les raquettes les cherchaient au fond de l'église à l'endroit où ils (les) avaient laissées; les ficelles étaient toutes gelées.

Lou z on apré lou z âtre è rota p'la mézon.

Les uns après les autres (se mettaient) en route pour la maison.

A la mézon, la gran-mâre ayè fé l'café d'ouerzo;

A la maison, la grand-mère avait fait le café d'orge;

chleu qy'ayan dè vigne a Martigni poyan béra na tassa d'vin tsô.

ceux qui avaient des vignes à Martigny pouvaient boire du vin chaud.

Lou ptchou devan q'ala dremi metchan li bote eu li soqe dezo la bourna.

Les petits, avant d'aller dormir, mettaient les bottes ou les soques sous la bourne.

L'avo metchè son paleto de dra tônè botna tanqyé dezo l'cou é dijè a revi.

L'oncle enfilait son paletot de drap marron boutonné jusque sous le cou et disait au revoir.

L'gran-pâre é la gran-mâre éran d'ja qeutcha, l'biryo ére tirya.

Le grand-père et la grand-mère étaient déjà couchés, le lit à roulettes tiré.

Apré avoué baya on cou de ju eu boeu pè vi s'li betche eran tranqile,

Après avoir donné un coup d'oeil à l'écurie pour voir si les bêtes étaient tranquilles,

l'pâpa metchè na poma p'ca daeu na vuista de byola dechu li bote dezo la bourna.

le papa mettait une pomme piquée au bout d'une branche de bouleau (1) sur les bottes (placées) sous la bourne.

La mâma metchè de couta saeu q'la tanta d'Pari ayè èvoya

La maman plaçait à côté ce que la tante de Paris avait envoyé

é apré avouè rmiza la trâbla poyè s'qeutsi é tua la lampa.

et, après avoir rangé la table, elle pouvait se coucher et éteindre la lampe.

Y ére preû dave z re é d'mi.

Il était bien deux heures et demie.

Dzozet à la Mandine

Dzozet à la Mandine


(1) Détail doublement symbolique. La branche de bouleau était employée comme martinet. Elle rappelait donc aux enfants les bêtises qu'ils avaient faites, mais la pomme valait récompense pour les bonnes actions.


La levâ deu dvaedre va tan qe tsando, la levâ de la né va tan qe l'din-nâ sè couè, la levâ deu dzu va tan q'on vu.

La levée (l'arrivée du beau temps) de vendredi dure jusqu'à samedi, la levée du soir dure jusqu'à ce que le dîner soit cuit, la levée du jeudi dure autant qu'on veut (proverbe vallorcin).


Note sur la transcription phonétique

Pour tous les textes et mots de patois présents dans ce numéro, nous conservons les principes de transcription déjà employés dans nos éditions antérieures.

Nous ne voulons pas trop perturber les habitudes des lecteurs; c'est pourquoi nous écrivons par exemple perchu et non pershu, comme on le ferait si on se conformait à la graphie de Conflans. Nous n'utilisons pas non plus le k, bien commode mais d'allure trop germanique.

Cela dit, nous essayons de transcrire les mots et les sons de façon aussi proche que possible de la prononciation.

Les sons consonantiques sont toujours notés par la même consonne ou par le même groupe de consonnes, à deux particularités près. La sourde s se prononce toujours comme dans soir en français (par exemple sourti, sortir), mais pour éviter des erreurs de lecture, nous gardons les deux ss du français entre voyelles (par exemple la trassa, la trace). D'autre part, le son guttural noté en français tantôt par un c (curé), un k (kilo) ou un q (quand) est écrit c devant a, o, u et q devant e, i, y, et dans le cas d'un relatif conjonctif (tan q'on vu). L'y est toujours prononcé comme une semi-consonne, comme dans Lyon (par exemple la byola).

Enfin, pour nous conformer à la prononciation, nous ne mettons pas de marque de pluriel, sauf si la liaison exige l'ajout d'un z entre l'article et le nom (par exemple, lou z on apré lou z âtre).

Quant aux voyelles, nous distinguons par un circonflexe le â de mâle de celui de mal, et nous procédons de même pour le ô de (beau) et le o de toca (frapper), ou pour le fermé de preû et le eu ouvert de eu fan (au fond). L'é fermé est toujours écrit avec accent aigu, l'è ouvert avec accent grave.

Enfin, la syllabe qui porte l'accent dit tonique est écrite en gras.