Vallorcine
et le Martigny-Châtelard

Dans le n° 3 d'E v'lya, nous avons vu comment le chemin de fer était arrivé à Vallorcine depuis le Fayet. Voyons maintenant ce qui s'est passé du côté valaisan pour faire la jonction avec la vallée du Rhône.

De ce côté, la topographie des lieux rendait encore plus difficile une liaison entre le Valais et la vallée de Chamonix, qu'elle soit routière ou ferroviaire. Avant que ne soit réalisée, après l'annexion de 1860, la route du col des Montets, la plus grande partie du trafic du Valais vers Chamonix passait par le col de Balme. La vallée de Vallorcine offrait alors un aspect des plus sauvages.

Jusqu'en 1824, tous les transports se faisaient par mulets et les voyageurs franchissaient le col de Balme souvent en chaise à porteurs. L'ouverture d'une route carrossable en 1824 marque le début de la période des calèches et des diligences.

C'est seulement en 1890 que trois demandes de concession sont déposées en vue de l'établissement d'une voie ferrée entre le Valais et la France. Pour des raisons diverses, aucune n'est retenue.

En 1899 et 1900, trois nouvelles demandes de concession pour la construction d'un chemin de fer électrique à voie d'un mètre sont déposées au Département fédéral des chemins de fer. Celles-ci émanaient de MM. Defayes, Strub, Amrein et Gillieron pour un chemin de fer partiellement à crémaillère de Martigny au Châtelard par Vernayaz et Salvan, et deux autres groupes pour un chemin de fer à adhérence avec rampes de 8 % de Martigny au Châtelard par le col de la Forclaz et pour un chemin de fer de Vernayaz à Finhaut par Salvan avec élévateur-transbordeur pour voitures automotrices jusqu'à Salvan.

Dans son message aux chambres du 16 avril 1901, le Conseil fédéral se prononça pour la concession par le col de la Forclaz. Mais à la suite d'une longue et vive discussion, les chambres fédérales accordèrent, le 20 décembre 1901, malgré le préavis du Conseil fédéral, la concession d'un chemin de fer de Martigny-gare Jura-Simplon (ce n'étaient pas encore les C.F.F.) au Châtelard Trient par Vernayaz, Salvan, Finhaut ainsi que de Martigny-gare Jura-Simplon à Martigny-bourg, à MM. Defayes et consorts pour le compte d'une société par actions à constituer.

La concession fut cédée à la Compagnie du chemin de fer de Martigny au Châtelard, constituée le 10 juin 1902 sous les auspices de la Société franco-suisse pour l'industrie électrique à Genève, qui fut chargée de procéder aux études complètes et de diriger les travaux de construction du chemin de fer. Les études, commencées avant l'octroi de la concession, furent achevées en 1903. Le premier coup de pioche pour la section Martigny-Salvan fut donné le 24 novembre 1902. En novembre 1903, on attaque Salvan-Frontière. La ligne a été achevée en 1906 et ouverte à l'exploitation le 20 août de la même année. Compte tenu de la topographie locale et de l'importance de travaux d'art qui en ont découlé, on peut dire que les travaux ont été menés à bonne allure, eu égard également au climat rude de la partie haute de la ligne, susceptible d'arrêter les travaux pendant l'hiver.

Dès lors, la ligne fonctionne sans interruption. Ici, point de suspension hivernale du trafic comme cela était le cas entre Montroc et Vallorcine jusqu'en 1936.

Comme du côté français, il en est résulté une très sensible amélioration des conditions de voyage; quand on songe seulement à ce qu'était la route de Salvan à Vernayaz avec ses innombrables lacets très serrés et fort pentus, on comprend ce que le chemin de fer a pu apporter, même en tenant compte de la relative lenteur des trains, qui au début mettaient une heure et demie pour parcourir les 19 kilomètres séparant Martigny-Jura Simplon puis C.F.F. du Châtelard, qui s'appelait alors Châtelard-Trient. Et les Valaisans pouvaient enfin rallier la vallée de Chamonix (sauf en hiver jusqu'en 1936), ce qui était un des buts de la construction de la ligne dont la raison sociale était "Compagnie du chemin de fer de Martigny au Châtelard (ligne du Valais à Chamonix)".

Est-il besoin d'insister sur la présentation des gares, toujours impeccables au fil des ans, ce qui n'est hélas pas toujours le cas chez nous!

Le matériel roulant pourtant très robuste commençait à accuser son âge dans les années 1950 et l'on mit à l'étude un nouveau matériel que l'on souhaitait pouvoir faire circuler jusqu'à Chamonix. En fait, après la mise en service du nouveau matériel S.N.C.F. en 1958, ce ne sont que des voitures-pilotes M.C. qui seront raccordées à Vallorcine aux trains français, et seulement l'été à certains trains.

Le développement du tourisme, notamment le passage par cet itinéraire remarquable de nombreux étrangers (asiatiques, américains, anglais, allemands) rend de plus en plus insupportable le changement de train à Vallorcine ou au Châtelard-Frontière.

Le matériel M.C., bien que remarquablement entretenu, commence à dater un peu (sauf la rame triple mise en service en 1979) comme celui de la S.N.C.F. Aussi en a-t-il été décidé un renouvellement partiel, permettant de faire enfin circuler des trains directs Saint-Gervais-Martigny. Du côté M.C., on envisage l'achat de deux éléments automoteurs doubles; côté français, la S.N.C.F. en achèterait deux, et les collectivités locales deux également. Au total, six rames conçues selon les caractéristiques les plus récentes pour ce genre de matériel.

Un ballon d'oxygène pour ce parcours qui ne peut qu'amener de nouveaux clients, ce dont Vallorcine doit largement profiter. L'un de ses atouts n'est-il pas le caractère agreste de sa vallée, pas encore défigurée par le béton? A condition que l'on sache le préserver.

Bernard Laville, retraité S.N.C.F. (Lyon)