ETYMOLOGIE

Les noms de nos montagnes

On sait que les noms de cours d'eau (voir E v'lya n° 1, p. 14) et les noms de montagne sont souvent fort anciens. Ils sont d'autant plus précieux qu'ils peuvent marquer le maintien dans la langue actuelle de la langue archaïque, ou témoigner de la permanence de racines issues de langues antérieures à la nôtre (celtiques ou préceltiques). L'ennui est que cela rend leur explication souvent fort difficile, sinon impossible.

Ainsi, les montagnes de Vallorcine proposent de nombreuses énigmes: il n'y a pas d'explication pour le Buet, ni pour le gros Nol, ni pour l'aiguille du Van (que d'autres nomment aiguille Devant). Je ne suis pas convaincu de ce que l'on a proposé pour Loria, ni pour Oreb (la confusion avec Lo Rey renvoie d'ailleurs à un terme inexpliqué), ni pour la Tête Fessarde, ni pour l'aiguille de Mesure. Quant à Barberine et Bérard, nous en avons parlé dans E v'lya n° 1, à propos des cours d'eau.

Heureusement, tout n'est pas aussi obscur. Deux oronymes (ou noms de montagne) paraissent remonter à la plus haute origine. Il s'agit d'abord de l'arête du Charmo, qui monte de Loria aux Perrons, et de l'aiguille du même nom, qui termine la chaîne des Perrons au sud-ouest. La racine préceltique calm paraît désigner une hauteur escarpée, et elle vient elle-même de la racine cal, qui désigne la pierre. La même étymologie explique les Petits et Grands Charmoz de Chamonix. Quant à l'aiguille de Salenton, dont le nom figure dans la charte d'albergement de 1264 (voir E v'lya n° 4, p. 16), elle a, elle aussi, une racine pré-indo-européenne, et signale un éboulis. La même étymologie explique le Salève, au-dessus de Genève, et la tête de Solaise, au sud de Val-d'Isère, entre autres exemples.

D'autres noms, moins anciens, s'expliquent aussi par la nature du terrain ou de la roche. Aux Aiguilles rouges (qui doivent leur nom aux pyrites de fer qui s'y trouvent en abondance) s'opposent les Saix blancs, ou rochers blancs, du latin saxum. Les Perrons portent un nom assez banal, d'origine latine, et évoquant la pierre ou des sommets rocheux. La Mortine, nom par lequel on désigne l'arête conduisant du Buet à la vallée de la Diosa, est un schiste friable. Les anciens voyageurs affirment que ce terme était à l'origine celui par lequel les Vallorcins désignaient le sommet lui-même, tandis que le nom de Buet était utilisé par les gens de Sixt; je n'ai pu vérifier cette allégation.

Certains noms s'expliquent par des caractéristiques du relief: ainsi du Béchat, au pied de la tête de Balme. Il s'agit d'un bec, d'une pointe rocheuse (à rapprocher des deux Béchar des Houches). Le mot est d'origine celtique. L'Aiguillette est un terme courant, mais qui, curieusement, peut désigner soit un gendarme rocheux (comme l'Aiguillette d'Argentière), soit un sommet peu escarpé, comme celle des Houches ou, ici, celle des Posettes. De l'autre côté de la vallée, la pointe de la Terrasse doit son nom au col tout proche, qui forme un petit plateau après la rude montée conduisant de Loria à la vallée du Vieux. Enfin, on peut songer à expliquer l'aiguille de l'Ifala toute proche, dans les Perrons, par des dalles faisant penser à l'ifaeula ou ancelle. On trouve d'ailleurs le même terme près des Petits Charmoz.

Revenons au mot même de Posettes. Le chanoine Gros signale une Reposette à Avrieux, et ailleurs une Reposa ou un Reposet, lieux de pause après une montée pénible. C'est possible ici. Mais je suis tenté par le rapprochement avec le terme français de vénerie, la reposée, lieu où les bouquetins, les chamois et -- pourquoi pas? -- les ours, se reposent pendant le jour.

Si nous passons le col des Montets et remontons l'Eau noire jusqu'aux névés où elle prend sa source, nous arrivons au pied du col d'Encrena (prononcer Encrenne), duquel on peut redescendre sur Bérard. Il s'agit d'un mot patois désignant une entaille, une nette coupure. Le terme est employé ailleurs, dans les aiguilles de Bérard par exemple, et c'est aussi un patronyme.

Il reste à remarquer que la toponymie se réfère au monde animal. On note ainsi la tête de la Chevrette qui domine la forêt des Granges, et le col des Corbeaux, au-delà de la Terrasse en direction du Cheval Blanc. Mais dans ce dernier cas, il s'agit évidemment d'une métaphore désignant le sommet neigeux qui, sur l'arête descendant du Buet, sépare Sixt de la vallée du Vieux.

Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur ces sujets dans un numéro ultérieur.

Michel Ancey