UNE TRADITION DE LA VALLÉE

Féta d'Ou

La dévotion à la Vierge est répandue en Savoie. Dans notre département, une cinquantaine d'églises sont consacrées soit à la Nativité de Marie, à l'Immaculée Conception, à la Visitation ou à l'Annonciation, soit surtout -- une vingtaine -- à l'Assomption.

Notre église se trouve dédiée à la Vierge dès sa première mention connue, dans l'acte de nomination de Thomas de Bagnes comme curé en 1272 (voir E v'lya n° 6, p. 6), il y a donc plus de sept siècles. On peut y lire (ligne 3) la formule suivante: ecclesiam vallis ursinae fundatam in honore beatae gloriosae Virginis Mariae (c'est-à-dire "l'église de Vallorcine fondée en l'honneur de la bienheureuse et glorieuse Vierge Marie"). La mention même de l'Assomption apparaît le 2 août 1766 lorsque l'évêque vient consacrer la nouvelle église (reconstruite de 1755 à 1757). Il lui donne le vocable de l'Assomption de Notre-Dame "pour satisfaire à la dévotion des paroissiens".

Quelques années plus tard, en 1778, le Genevois De Luc traverse la vallée le jour de la fête patronale, le 15 août (en patois Féta d'Ou). Il évoque nos ancêtres en des termes qu'il faut reprendre après Mme Lévi-Pinard (Vallorcine au XVIIIe siècle). L'ancienne route passait devant l'église; or, voici que le groupe des voyageurs arrive au moment où les Vallorcins sortent de la messe:

"Nous passâmes au milieu de tous les habitants de la vallée qui s'étaient rassemblés pour chômer la fête. Je n'ai jamais rien vu de plus réjoui ni de plus réjouissant. Toutes les femmes étaient robustes et jolies." Il ajoute, non sans humour: "Les hommes, sur qui peut-être nos regards ne se portaient pas alors avec la même attention, ne déparaient pas ces groupes." D'ailleurs non seulement "la Valorsine" (sic) est une agréable vallée, mais "ses habitants peuvent être rangés parmi les plus belles races humaines." A la vérité, il indique un peu plus loin qu'on trouve très fréquemment dans les Alpes une belle population de ce type. L'éloge des qualités du corps se prolonge vers celles de l'âme: "Les habitants de la Valorsine sont tous aussi laborieux et industrieux qu'ils sont beaux."

La mémoire des anciens de la vallée nous assure que l'Assomption continua d'être fêtée par toute la population de cette époque ancienne jusqu'à nos jours.

En 1955, trois familles de résidents secondaires (une parisienne, une lyonnaise, une marseillaise) logés au Sizeray dans la maison Perronneau organisèrent une fête costumée sur le thème de l'arrivée du train à Vallorcine.

On procéda à la recherche de vêtements de la belle époque dans les armoires qui conservaient les trésors de ce temps-là. Le jour dit, on se rendit en cortège costumé du Sizeray à la Poste sur le perron de laquelle le président de la République, c'est-à-dire M. Schvartz accompagné de son épouse, prononça le discours attendu. La voiture officielle n'était autre qu'une anachronique 2 CV. Le faux maire était incarné par Me Joly du barreau de Lyon (décédé depuis). Le service d'ordre était assuré par Rémi Leclerc. Quant à l'Eglise, elle était représentée par son vrai curé, l'abbé Châtelain -- dont chacun a pu lire les souvenirs dans Carnets d'un curé de montagne (la Fontaine de Siloé). La cérémonie parodique se termina par un vin d'honneur offert par le véritable maire Albert Burnet.

Depuis, comme chacun sait, la tradition de Féta d'Ou reste vivace: des expositions artisanales réunissent de nombreux artisans de la vallée et de l'extérieur; l'Echo du Buet donne un concert; on peut déguster les produits du pays. L'imagination des nouvelles générations ne manquera pas de renouveler cette fort ancienne tradition.