RICHESSES NATURELLES

Les roches les plus anciennes
du pays vallorcin: les gneiss

Comme il a été souligné dans le numéro 8 d'E v'lya (pp. 16 et 17), le paysage vallorcin actuel est essentiellement le résultat des déformations alpines ayant affecté des roches préexistantes. Parmi ces roches cassées, plissées et exhumées à l'ère tertiaire, peuvent être distinguées:

-- les roches sédimentaires déposées au fond d'un océan pendant l'ère secondaire (couverture sédimentaire des Aiguilles Rouges et Nappe de Morcles);

-- les gneiss, granites et poudingues formés au cours de l'ère primaire (socle hercynien des Aiguilles Rouges) et constituant le soubassement des sédiments d'âge secondaire.

Les quelques lignes qui suivent sont consacrées aux plus anciennes de toutes ces roches, à celles qui forment l'ossature du pays vallorcin, c'est-à-dire aux gneiss. Ce sont ces gneiss que l'on foule sur les sentiers et dans les pierriers du Vallon de Bérard jusqu'au Col de Salenton, dans une grande partie de la vallée de Tré-les-Eaux, sur l'ensemble de la Montagne de Loriaz jusqu'au col de la Terrasse, dans la traversée des Perrons ou encore au bas du versant vallorcin de la montagne des Posettes.

Les gneiss sont, comme toutes les roches, formés de grains de couleurs et de formes variées. Tous les grains ayant les mêmes caractéristiques correspondent à un même minéral. Ainsi, tous les grains translucides de teinte grise à éclat huileux que l'on observe dans les gneiss sont des cristaux de quartz. Les grains blanchâtres ressemblant à de la porcelaine sont des cristaux de feldspath. Enfin, les paillettes noires et brillantes, ou blanchâtres et nacrées, sont des cristaux de mica noir ou de mica blanc. Les gneiss sont donc, pour l'essentiel, des agrégats de quartz, feldspath et micas. Parfois s'ajoutent à ces minéraux de petits grains arrondis de teinte rose: ce sont des cristaux de grenat. D'autres minéraux peuvent être identifiés dans les gneiss, à l'aide d'un microscope: la sillimanite, le disthène, l'andalousite et la staurotide. Pour le spécialiste, ces minéraux sont de précieux témoins de l'histoire des gneiss.

Différents types de gneiss peuvent être observés, mais ils ont tous en commun une caractéristique: ils se débitent en feuillets plus ou moins épais. Ce débit est appelé la schistosité ou la foliation des gneiss. La foliation peut être marquée dans les gneiss par un rubanement, c'est-à-dire par une alternance de "lits" clairs constitués de grains de quartz et de feldspath et de "lits" sombres essentiellement formés de plaquettes de mica noir (voir schéma).

Parfois, le gneiss est plus homogène, mais une observation attentive montre que la foliation existe malgré l'absence d'un rubanement net. C'est en effet la seule forme des minéraux qui définit alors la schistosité: les grains de quartz et de feldspath sont allongés, formant de petites amandes ayant toutes la même orientation, par ailleurs parallèle à celle des feuillets de mica, tous disposés à plat dans le plan de débit de la roche. Généralement, la foliation des gneiss des Aiguilles Rouges est presque verticale, mais localement, elle peut être ployée par des plis de toutes tailles (voir schéma): ces plis sont des témoins de déformations ayant affecté les gneiss soumis à des forces gigantesques.

En quelques endroits, des roches très sombres apparaissent sous la forme d'amandes d'un mètre ou davantage, noyées dans les gneiss. Ces roches sont beaucoup plus massives et denses que les gneiss, mais elles sont foliées comme eux. Elles sont constituées de petites aiguilles presque noires, toutes parallèles les unes aux autres. Ces fines baguettes étant des cristaux d'amphibole, on appelle les roches des amphibolites. Les amphibolites des Aiguilles Rouges renferment en outre des cristaux de feldspath blanc peu abondants et parfois de très beaux cristaux de grenat rose.

Les gneiss (et amphibolites associées) qui viennent d'être décrits appartiennent à la famille des roches "métamorphiques". Une roche métamorphique est une roche qui a subi une métamorphose ou métamorphisme dans les profondeurs de la croûte terrestre, sous l'effet de pressions et de températures élevées. Cette métamorphose, qui se déroule à l'état solide, consiste en une cristallisation de nouveaux minéraux accompagnée d'une déformation (orientation des cristaux, aplatissement, plis...). D'après les études de détail effectuées par le géologue Jürgen von Raumer de Fribourg, les gneiss des Aiguilles Rouges ont été enfouis à environ 25 km de profondeur à des températures de 550 à 600 °C, il y a de cela plus de 400 millions d'années. La métamorphose se serait poursuivie pendant une centaine de millions d'années, la température atteignant au maximum 650 °C et la pression diminuant lentement au cours du temps.

Toutes les caractéristiques des roches métamorphiques des Aiguilles Rouges (nature des minéraux et type de déformation) suggèrent que la métamorphose s'est déroulée dans une zone de collision entre deux continents. Un ensemble de sédiments argileux et sableux et de projections volcaniques déposés dans un océan d'au moins 500 millions d'années ainsi que des granites se sont trouvés enfouis entre les deux continents, dans les racines de la chaîne de montagnes en formation, appelée chaîne Hercynienne. En profondeur, sous l'effet de fortes températures et pressions, les argiles, les grès et les granites se sont métamorphosés en gneiss divers, et les tufs volcaniques se sont transformés en amphibolites. Alors que la collision entre les deux continents se terminait, l'érosion attaquait les reliefs de la chaîne Hercynienne, les gneiss remontaient vers la surface du globe et leur métamorphose prenait fin. L'usure des montagnes fut telle que les roches métamorphiques furent dénudées à la fin de l'ère primaire, avant d'être recouvertes de sédiments océaniques à l'ère secondaire. Ce n'est qu'à l'ère tertiaire, grâce aux déformations alpines résultant de la poussée de la plaque africaine sur le continent européen, que les vieux gneiss des Aiguilles Rouges ressurgirent à l'air libre, perçant leur couverture sédimentaire par le jeu de très grandes failles peu inclinées.

Nicole Le Breton