ÉTYMOLOGIE
Nous reprenons ici notre rubrique étymologique, qui figure dans les trois premiers numéros de la revue, ainsi que dans les sixième et septième.
Comme nous l'avons expliqué dans le numéro 2 (page 6), le registre des numéros suivis regroupe les 7 200 parcelles figurant sur la mappe de 1730 en une soixantaine de "mas" dont le nom est très souvent celui même du village autour duquel se trouvent ces parcelles. Les autres lieux dits ne sont pas habités ou ne comportent que quelques granges.
Nous nous proposons d'expliquer certains de ces toponymes lorsqu'ils figurent encore dans le cadastre de 1923, deux siècles plus tard, ou que, sans y figurer, ils restent en usage, compte tenu des différences de graphie (souvent fantaisiste ou variable au 18e siècle) et de prononciation (elle-même difficile à transcrire).
Ces lieux dits se classent facilement en quelques catégories, elles-mêmes représentées dans l'ensemble des communes de France.
Cette année, nous nous intéresserons à l'ensemble des noms qui s'expliquent par l'aspect du lieu, la nature du terrain ou la végétation qui le caractérise.
Nos ancêtres ont désigné divers endroits de la vallée à partir de la topographie. Ainsi le Cougnon, que le registre nomme le Cognon, est un lieu un peu à part, un coin de terre (du latin cuneus, triangle, angle) situé en l'occurrence dans la descente vers Barberine en rive droite de l'Eau Noire. Il y a à peu près la même forme, le Cugnon, aux Contamines, pour désigner le dernier hameau, à l'écart au-dessus de la rive droite du Bon Nant. On trouve aussi Cognet ou Cugnet en Maurienne.
Le Mollaret, qui se trouve au-dessus de l'eau en amont du Nant, est facile à expliquer: c'est un petit Molard, c'est-à-dire (voir E v'lya n° 2, p. 14) une masse de terrain en position dominante. Ce toponyme est toujours en usage, même s'il ne figure pas dans le cadastre. On le trouve souvent ailleurs, dans la région de Chambéry, par exemple.
On pourrait être tenté de mettre dans la même catégorie le Chamosset. La racine cham a fait couler beaucoup d'encre, en particulier à propos de Chamonix. Si l'on peut éliminer sans hésiter la référence aux chamois, le recours à la racine préceltique Cam ou Cham, qui paraît désigner une hauteur arrondie, pourrait tenter un instant, mais le lieu ne s'y prête guère et nous trouverons plus loin beaucoup plus satisfaisant.
La nature du terrain a donné naissance à trois toponymes. La Molliette et son moulin sous le Mollard (voir photo) désignent un lieu humide, marécageux (on dit aussi une mouille en patois, du latin mollis, mou). On trouve aux Contamines le nom masculin, le Molliex.
Le registre nous propose le mas de Lassis, graphie fantaisiste pour la Chi. Il s'agit d'un ensemble de parcelles proches du Laÿ et du Chanté et non de la Chi des Coins, appellation d'un grand rocher glissant au bas de la vallée de Tré-les-Eaux. Or le mas de la Chi tire lui-même son nom du gros rocher dominant le Couteray. Le mot est clair pour les Vallorcins, mais l'étymologie obscure. La référence au mot patois qui désigne la dalle de pierre du foyer (on dit en effet la chi à Chamonix) me paraît bien incertaine, d'autant qu'à Vallorcine on ne connaît que l'foyi.
Entre le Nant Betterand et le Crot, on trouve le mas des Glières, qui figure dans le cadastre sous le vocables des Lierres. Rien à voir, bien sûr, avec la plante parasite, d'autant que l'on prononce les Lyires (et non les Lyres, forme qui prête à confusion). L'évolution de la graphie officielle est intéressante: en 1730 comme en 1923, les géomètres notent le son yè dans la première syllabe. Cela tient sans doute à la difficulté de noter le son correct yi, mais peut-être aussi à un flottement de la prononciation (qu'on note en bien d'autres circonstances). Quant au g initial présent en 1730, il indique soit qu'il était encore audible à l'époque, soit que le géomètre (le dénommé Antoine Naviod) a reconnu dans le vocable vallorcin un mot très courant en pays savoyard. On trouve en effet deux sommets de ce nom, en Vanoise et dans les Aiguilles Rouges, sans parler du plateau rendu célèbre par la Résistance. Le Dictionnaire savoyard de Constantin et Désormaux signale d'ailleurs la prononciation Glyires, proche de celle de Vallorcine, et qui renvoie comme Glières au mot latin glarea, gravier. Tous ces toponymes désignent des lieux pierreux, rocailleux, des terres de mauvaise qualité.
La végétation est elle-même en relation avec la nature du terrain. Il s'ensuit que des lieux dits seront désignés par ce qui y pousse en abondance.
C'est à l'évidence le cas du mas des Larsettes, qui se trouve près du Nant du Ran. On trouve d'ailleurs une forme proche à Courmayeur, le Larzey, ou de même sens, quoique moins évidente, les Larges de la commune de Hautecour en Tarentaise. Tous ces noms renvoient au mot latin (et plus ancien peut-être) larix-laricis, qui est féminin et désigne le mélèze, la lardze en patois. Dans le même ordre d'idées, on trouve au-dessus du Sizeray les Jorettes qui désignent un lieu boisé de conifères (on désigne aussi une forêt sous le nom féminin de dzon, du gaulois juris).
Il reste à revenir sur le cas de Chamosset, dont l'explication est simple (même si l'étymologie reste obscure). Ce lieu-dit sis en face du Nant et du Morzay de l'autre côté de l'Eau Noire tire son nom des tsamossè, espèce de mauvaise herbe, le nard raide, dont les bovins ne veulent pas. Serait-ce alors l'herbe aux chamois? En tout cas, il s'agit d'un lieu où cette mauvaise végétation est abondante. On la retrouve ailleurs dans Vallorcine avec la Chamossière.
Nous aurons l'occasion dans un prochain numéro de parler des lieux dits marqués par l'activité humaine ou en rapport avec des noms de famille. Beaucoup d'autres restent mystérieux, pour l'instant tout au moins.
Michel Ancey