ETYMOLOGIE
Chacun sait que Vallorcine doit sa singularité -- et son enclavement -- aux avalanches qui la séparent plus ou moins longuement du reste du monde.
Intéressons-nous aux nombreux toponymes qui les désignent, et d'abord au terme même par lequel le phénomène est désigné. Une avalanche se dit en patois 'na lavantse. De là lou Lavanché, nom du couloir d'où descend l'avalanche qui menace le Sizeray et contre laquelle on a construit à l'époque ancienne un petit mur, avec une croix propitiatoire (voir p. 16), et maintenant un poétique mur en béton. On trouve aussi, descendant du col d'Encrèna sur la vallée de Bérard li grou Lavanché. Les cartographes désignent d'ailleurs toute cette zone au pied des Rouges comme le Lavancheret. On connaît aussi le Lavancher au-dessus des Tines, près de la grande avalanche de la Verte. Ce terme est aussi employé aux Contamines, et l'on rencontre la forme Lavanche au Châtelard en Bauge et à Grésy-sur-Isère.
Notons au passage que le mot patois n'est pas une déformation du français avalanche, mais que c'est plutôt l'inverse. Le chanoine Gros (Dictionnaire des noms de lieux de Savoie) signale la présence dès le XIe siècle de l'expression latine ultra Lavencham (qui n'est visiblement que la transposition de la forme dialectale lavanche), tandis que le terme avalanche n'apparaît qu'à la fin du XVe siècle. La forme française est probablement le produit d'un déplacement de consonnes (ou métathèse) et d'un rapprochement avec le verbe avaler (au premier sens, celui de faire descendre vers le val). D'où les trois stades probables: la lavanche, la valanche, l'avalanche.
Nous allons remonter la vallée en partant des avalanches qui descendent en direction de Barberine.
Il y a celle du col du Passet, toponyme facile à expliquer quoique je n'en connaisse pas d'autre exemple, mais les termes formés sur le latin passus = pas, d'où passage (cf. Passon) sont nombreux. Il y a ensuite, venant des Perrons, le Grou Kfa. L'adjectif est clair, mais le nom Kfa tout à fait mystérieux. On trouve ensuite plus bas la Gran Gueule, ou avalanche du grand goulet, qui descend de Loria à Emosson en direction de la cascade. Il y a encore plus bas l'avalanche des Frênes qui aboutit en haut des prés de Barberine. Nous avons parlé dans le n° 1 du torrent du Ran, et donc de l'avalanche du même nom; cette vieille racine préceltique désigne un rocher et on la trouve sous diverses formes dans les Alpes et le Jura.
Il y a ensuite celle de la Pâra, qui descend des hauteurs de Loria à gauche de la forêt de la Villa. Ce terme est bien connu et désigne un rocher ou un lieu escarpé. Il se retrouve aux Contamines ou au mont de la Part près du col d'Allos. Deux explications sont en concurrence, un celtique para indiquant l'exposition au soleil, et le latin paries désignant une paroi. A Vallorcine les deux explications peuvent convenir. Mme Levi-Pinard emploie d'ailleurs à cette occasion (Vallorcine au XVIIIe siècle, p. 61) le terme d'avalanche des Rupes (ou rochers, du latin rupes).
La tourne a été reconstruite à l'époque pour protéger la nouvelle église de la conjonction de cette avalanche et de celle, située plus à gauche, dite de la Golèze. Ce terme, que l'on retrouve à Samoens (col de la Golèze) désigne, comme plus haut, un goulet ou couloir d'avalanche.
Plus en amont, nous retrouvons le Lavancher déjà nommé (au-dessus du Sizeray), puis le Couarbo ou avalanche du couloir courbe, qui descend au-dessus de la mairie, puis l'avalanche du Grand Châble (Gran Tsablo) en direction du Plan Droit, où un petit mur protecteur a été construit autrefois. Le châble est d'abord un couloir naturel sur le modèle duquel les hommes ont ensuite tracé les pistes pour traîneaux l'hiver (voir E v'lya n° 5, p. 14). Le chanoine Gros renvoie au latin capulum dont je ne trouve pas trace par ailleurs.
Après l'avalanche du Nant de Lo sur le lit de ce torrent, il y a, au-dessus du Couteray, l'avalanche de la Combe, dont le nom se passe d'explication. On trouve encore, au-dessus des Granges, celle des Rotsassous que j'explique par la racine pré-latine roc, très fréquemment reprise, du français roche ou rocher aux formes locales de Rochasson aux Contamines, Rochasse ou Rochasset ailleurs. Il s'agit donc d'endroits rocailleux ou rocheux. Il y a enfin l'avalanche du Planay (ou replat) qui descend entre les pentes de l'aiguille de Loria et "sur le rocher".
Si nous traversons l'Eau de Bérard, voici de nombreux couloirs au pied des Aiguilles rouges, celui des Tsepis -- terme inexpliqué -- qui descend vers les téléskis; plus en amont, celui du plan Trepi, mot qu'on peut sans doute rapprocher du verbe trepa, piétiner. Plus loin, l'avalanche du Splar, terme mystérieux -- faut-il le rapprocher du latin spelunca, grotte? Il y a plus haut l'avalanche des Planards, nom employé aussi à Chamonix. Le radical est évident, reste à expliquer la valeur du suffixe -ard; diminutif, ou augmentatif? ce n'est pas évident et paraît dépendre des cas. La dernière sous les Rouges en arrivant au col est celle du nant de la Tsana (soit le haut cours de l'Eau noire). Ce terme désigne en patois le chéneau, la conduite d'eau. Je n'en ai pas trouvé d'équivalent ailleurs.
Si l'on redescend sur la rive droite de l'Eau noire et au pied de l'Aiguillette, on trouve, en aval de l'entrée du tunnel, l'avalanche des Khlyus, lieu-dit difficile à prononcer et à écrire, mais qui paraît décrire un endroit enclos de pierres. On trouve ensuite celle du Pra de Li contre laquelle on a construit la tourne du Montet. Ce terme se trouve à Taninges -- mais le Li n'est pas clair.
Plus bas, les Djetses, à rapprocher de toute une série de formes comme Get aux contamines ou Giet à Bramans (en Maurienne) que l'on explique par le latin jacere, jeter. C'est l'idée d'un couloir dans lequel on jette le bois pour le faire glisser jusque dans la vallée. Il y a l'avalanche des Combasses, qui rappelle la Combe de l'autre côté; celle du Cé (ou Saix, de saxum, le rocher), celle du Plan du Plane près du Plan d'Envers (voir E v'lya n° 2) et enfin celle du Nant Vouille -- encore un nom mystérieux, sans rapport connu avec la famille Vouilloz.
De cet exposé, il faudrait tirer toute une série de commentaires. Contentons-nous de noter que les avalanches, pour celles dont on s'explique le nom, sont désignées par le relief où elles coulent (les différents goulets), par les rochers de diverses formes d'où elles partent, ou par le lieu où elles s'arrêtent. Certains de ces termes se répètent, sont synonymes ou voisins. D'autres nous posent problème, et ce sont sans doute les plus intéressants.
Il est clair qu'il faudra dans l'avenir relever l'ensemble des lieux-dits vallorcins, dont la richesse est évidente. Il faudrait aussi une carte de la vallée à petite échelle où l'on puisse faire figurer tous ces noms, ou en tout cas les plus importants.
Michel Ancey