NOTRE PATRIMOINE

Lieux de dévotion disparus
et pratiques anciennes

Anciens lieux de culte

Parmi les monuments religieux de Vallorcine, certains nous sont parvenus et nous les avons décrits dans notre numéro de l'an dernier, d'autres ont disparu ou ne sont plus utilisés de nos jours.

La chapelle du Saint-Esprit, que la mappe de 1730 indique avec le n° 3079 (voir E v'lya n° 2, p. 10), était placée à l'intérieur de la tourne, derrière l'église. On ne sait guère quelle en était la fonction. Dans les tabelles, elle est curieusement placée après "cure" (donc, pas dans l'ordre alphabétique), et elle ne porte pas la mention "bien ecclésiastique". Elle devait être la propriété de la confrérie du Saint-Esprit. Cette dernière fut fondée en 1703, elle émanait du séminaire du Saint-Esprit, lequel avait pour vocation la formation au sacerdoce des jeunes gens pauvres. Elle n'a pas laissé de souvenir précis dans la commune. Il ne semble pas qu'il y ait eu de célébration spéciale à Vallorcine le jour du Saint-Esprit, c'est-à-dire à la Pentecôte. La chapelle fut détruite lors de l'avalanche du 20 février 1720, comme le curé Dudevens l'a noté dans son Dictionnaire du clergé séculier et régulier du diocèse de Genève-Annecy de 1573 à nos jours. Elle n'a pas été reconstruite en 1756 avec la nouvelle église.

Une deuxième chapelle nous est mieux connue et a été en partie conservée jusqu'à nos jours. Il s'agit de celle du Nant, construite à ses frais par l'abbé Claude-Louis Claret, curé de Marlioz, mais originaire de Vallorcine. Bénie en 1868 par l'évêque, elle permettait aux paroissiens du haut de la vallée d'assister plus facilement aux offices religieux. Elle pouvait en effet accueillir jusqu'à deux cents personnes. A sa mort, le curé Claret laissa dans son testament de quoi entretenir un vicaire (voir F. et C. Gardelle, Vallorcine, p. 55). Cette chapelle fut vendue en 1935, sécularisée et transformée en menuiserie. Ce bâtiment est toujours visible au Nant, mais sans son clocher (voir photo page suivante). Sa cloche se trouve maintenant au Fayet (voir E v'lya n° 4, p. 5).

Processions et pélerinages

Les trois oratoires évoqués dans la première partie de cet article ne sont pas seulement des lieux esthétiquement intéressants, ils ont été depuis le XVIIIe siècle les témoins de pratiques de dévotion religieuse réellement actives, et dont le souvenir reste vivace.

Deux des trois oratoires de Vallorcine encore en place sont dédiés à Notre-Dame des sept douleurs. Cette dévotion mariale instaurée dès le XIVe siècle, sans doute par le bienheureux Henri Suso (1), s'est développée au XVe siècle. C'est à cette époque qu'on élabora, avec quelques variations, la liste des sept douleurs, et que l'on créa le type artistique bien connu de la Pietà. Cette dévotion a été répandue en Haute-Savoie, où l'on trouve plus d'une dizaine de ces sanctuaires à Notre-Dame des sept douleurs. Cependant, il faut noter que dans tout le canton de Chamonix, seule Vallorcine en possède. Cette originalité explique sans doute en partie l'importance des manifestations religieuses qui y sont liées, et dont les Vallorcins ont été les témoins et les acteurs jusqu'à une époque assez récente.

La première est celle des Rogations, où les oratoires de Barberine et du Plan Droit jouaient un rôle important. En effet, la première procession, celle du lundi, partait de l'église après la messe de six heures et se dirigeait vers l'oratoire du Nant, en passant devant celui du Plan Droit. La deuxième procession, le mardi, se dirigeait vers celui de Barberine en passant par le Ran. Le mercredi, enfin, la procession partant de l'église se rendait devant la croix du bas du Sizeray, dont la niche contient une statuette de la Vierge; elle continuait vers le Bettex, remontait vers le chemin vieux, et passant devant les deux croix sises en haut du Crot et du Sizeray, revenait à son point de départ, terminant ainsi le cycle marial. Pendant ces processions, on faisait retentir deux sonnettes alternativement de façon continue, et on chantait les litanies en latin. Dans les années soixante, le curé Dutruel disait même des messes en plein air le soir, à l'issue des processions.

Mais c'est l'oratoire des Montets, dont l'architecture nous avait déjà paru la plus intéressante, qui constitue sans doute le lieu de dévotion le plus important et le plus vivant parmi ceux de Vallorcine. En effet, il est le but d'un pélerinage commun à Vallorcine et à Argentière, le dimanche le plus proche du 15 septembre, jour de la fête de Notre-Dame des sept douleurs. Une messe est dite sur l'esplanade par beau temps; après quoi, l'assistance pique-nique et des prières ont lieu l'après-midi.

Rappelons également que cet oratoire était fréquenté à d'autres moments, parce que la source qui jaillit dans les parages était réputée pour avoir des vertus curatives pour les maladies des yeux.

Si l'on se promène de nos jours à Vallorcine, on s'aperçoit que beaucoup des lieux dont nous avons parlé dans cet article et dans notre édition de l'an dernier sont toujours entretenus et fréquentés. On y voit toujours des fleurs, et il n'est pas rare de rencontrer des personnes venues se recueillir en ces lieux paisibles.

On peut sans doute regretter que l'ensemble patrimonial ainsi constitué ne soit pas davantage connu, ou tout au moins qu'il ne soit plus complet. Ne serait-il pas souhaitable que l'oratoire du Plan Droit soit réinstallé, afin de rendre cet aspect attachant plus sensible aux visiteurs de notre commune comme à ses habitants permanents?

Françoise Ancey

(1) De son vrai nom Henri de Berg, théologien allemand de l'ordre des dominicains, 1295-1366.