Lucette Jovino, gardienne des dernières volontés
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Lucette Jovino, à gauche,
et Marie-Madeleine ont choisi la crémation. Par conviction
philosophique et pour ne pas s'imposer à leurs familles (Photo L.M.).
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Retraitée de la fonction publique, Lucette Jovino milite pour
la crémation depuis 1975. Elle cherche aujourd'hui quelqu'un qui
pourrait lui succéder à la présidence de l'Association nationale
crématiste, vieille de 130 ans et reconnue d'utilité publique.
Portrait d'une femme discrète et engagée.
Trois coups de heurtoir sur la porte massive de l'Association
nationale crématiste. La plaque est usée. Quelques instants plus
tard, Lucette Jovino, 78 ans, Lilloise d'origine et présidente de
ce groupe crématiste reconnu d'utilité publique (rattaché à la
Fédération française de crémation), apparaît. Depuis 15 ans, elle
est à l'écoute des adhérents (800 aujourd'hui), renseigne les
particuliers intéressés par la crémation et défend cette pratique
funéraire.
« Nous sommes l'association pionnière en France dans le combat
pour la crémation. Elle a été créée en 1880 et nous sommes à
l'origine de la construction du crématorium du Père-Lachaise »,
insiste fièrement Lucette Jovino. Au coeur de cette petite
permanence, rue Notre-Dame-de-Nazareth, à Paris, elle évoque le
succès d'intellectuels célèbres ou de particuliers qui ont
milité pour la crémation. Depuis sa reconnaissance en 1963, ce
mode de funérailles n'a cessé de prendre de l'importance. Elle
s'est banalisée. Imaginer la disparition de l'ANC n'est pas
folie. Lucette Jovino agite la montre bague qu'elle porte au
doigt et souligne : « Un attrait affirmé pour cette pratique
funéraire, la dispersion ou le désir de ne pas imposer une tombe
à ses descendants, l'aspect écologique : les raisons de choisir
la crémation sont multiples. »
30 ans à la mairie de Lille
En tant que présidente de l'association, Lucette Jovino est la
gardienne des dernières volontés que ses adhérents ont couchées
au bas de leur testament. Mais entre la gestion des adhésions, la
réalisation de quatre bulletins annuels et le suivi des souhaits
des défunts, celle qui a passé trente ans au service de la
mairie de Lille veut raccrocher ; en finir avec les caprices de
la photocopieuse, le coup de main à la comptabilité, la
préparation des assemblées générales, le projet de site Internet,
etc.
Si le temps manque à Lucette Jovino et Marie-Madeleine, sa
secrétaire administrative et amie de 86 ans, les deux retraitées
n'ont pas à se soucier de leurs obsèques. En tant que membre de
l'association crématiste et détentrices de la « carte verte »
(délivrée aux adhérents, elle permet des réductions sur le
dernier voyage), le scénario final est écrit.
Des femmes de convictions
Parce que « c'est une conviction philosophique, expliquent les
deux femmes, qui n'ont pas envie d'imposer le rituel des
chrysanthèmes à leurs familles. Nous ne croyons pas aux dieux des
religions mais en l'Homme, les Arts ou la liberté des Lumières.
Il n'y a rien après. » Et de préciser : «Nous ne sommes pas
fermés. Il y a des catholiques, des protestants, des bouddhistes,
etc. » « Heureusement qu'il y a encore des gens qui se font
enterrer, plaisante même Marie-Madeleine, j'adore me promener
dans les cimetières. »
Marie-Madeleine : le prénom de cette bretonne, fille d'un
médecin de campagne, trahit pourtant - et elle le reconnaît - le
climat religieux dans lequel elle a été élevée. « Toute jeune, la
mort était partout. C'est devenu une fascination. » Aucune
dimension morbide dans cette affirmation mais l'aveu d'un intérêt
intellectuel pour la vie que les deux crématistes vivent aussi au
sein de l'Association du droit de mourir dans la dignité (ADMD).
Elle compte 40.000 adhérents en France, milite pour
l'instauration du suicide assisté dans certains cas et tente de
faire pression sur le gouvernement : « Comme la loi sur la
crémation de Jean-Pierre Sueur (sénateur du Loiret) qui empêche
de disposer librement des cendres, la loi Leonetti n'est pas tout
à fait adaptée à la situation. Dans certains cas, nous devrions
pouvoir choisir notre mort. C'est notre dernière liberté »,
affirment-elles. Lucette et Marie-Madeleine ne sont pas prêtes à
passer outre. Camus, Mendès-France, De Gaulle, Platon et Pascal
sont les héros de ces dames.
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