« Une société du conformisme généralisé »
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Certes, la photo n'est pas encore en place, mais il faudra pourtant la crediter comme suit (Photo Untel).
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Pierre Le Coz est professeur de philosophie, vice-président du
Comité consultatif national d'éthique et l'auteur de L'empire des
coachs. Dans ce livre, il critique les« managers de l'âme » qui
normalisent la pensée de chacun et annulent tout esprit critique.
Comment expliquer l'explosion du coaching ?
Il existe en nous une propension à projeter sur un autre un
savoir qui dépasse nos capacités à nous comprendre nous-mêmes. Le
succès du coaching tient à cette illusion qu'un autre sait de moi
ce que j'ignore et qui me serait tellement important pour
«réaliser mon être». Le coach sait y faire : praticien souple du
soin comportemental, il se montre chaleureux et interactif. Moins
intimidant, donc, qu'un psychanalyste, un prêtre ou un médecin
traditionnel.
Peut-on comparer les coachs de vie aux coachs sportifs ?
Avec ses challenges, ses performances, son positivisme à tout
prix, la vie fonctionne comme une véritable épreuve sportive.
Nous devons être rayonnants du soir au matin ! L'idée qu'on
essaye de nous faire croire est que si on s'occupe de l'individu,
de son affectif et de son bien-être, il sera plus performant pour
le groupe. Toutes les institutions qui cristallisaient jadis les
aspirations se disloquent pour ne laisser la place qu'aux valeurs
de l'entreprise et de la compétitivité. Même phénomène avec les
sentiments. Les coachs de la vie privée évoquent l'amour comme on
parle gestion : efficacité, réponse à un besoin...
Peut-on devenir accro au coaching ?
Le coaching peut devenir une addiction dans une société où la
mondialisation génère des incertitudes pour l'avenir des futures
générations. On a tendance à idéaliser l'idée du mouvement --même
si le mouvement pour le mouvement est absurde. Le coach, présenté
comme l'expert en changement, tient un rôle d'opérateur
d'adaptation au monde moderne. Risques climatiques, sang
contaminé, l'idée de progrès est en crise et on ne sait pas où on
va. Donc le coach sécurise et rassure. Il nous libère de tout
(graisses, sucre, tabac, alcool, etc.), sauf de l'aliénation qui
nous assujettit à son altruisme managérial, parfaitement inculte
et insipide.
Quels sont les dangers du coaching pour une société ?
On voit se dessiner les contours d'une société du conformisme
généralisé, où chacun est invité à donner son libre
consentement à ce que l'on attend de lui : être compétitif,
performant, rentable, positif. Au pays des merveilles du
coaching, fini les états négatifs comme la tristesse, la
conscience du tragique ou le sentiment des limites de la
condition humaine. S'il y a défaillance, ce n'est pas le système
qui doit être remis en cause mais nous qui n'avons pas su nous
transformer. Le rôle du coach est de nous réadapter à ce monde
merveilleux.
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