- La fripe entre vogue et rupture de stocks
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La seconde vie des vêtements usagés
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L'intérieur du magasin Intox dans le quartier du Châtelet à Paris. Ces
petits détaillants évitent le circuit traditionnel (DR).
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Dans l'ombre d'une industrie textile florissante, la
fripe toute discrète en flux ne connaît pas la crise, ou plutôt s'en
réjouit. Comment sont animées ces boutiques d'occasion? Enquête sur le
circuit des vêtements usagés.
KALAA EL KEBIRA en Tunisie, dans la cour de l'usine, les
balles de 400 kg éventrées s'entassent. A l'intérieur du premier
hangar, quatre rangées de conteneurs en enfilade. Chacun d'eux offre,
en vrac, des articles grossièrement classés. Articles de sport pour
hommes,
robes longues, sweaters enfant. Sans qu'aparaissent nulle part
les mentions. « Impossible de trouver des articles d'été »
soupire Georgette, détaillante basée à Paris venue constituer son
stock. « Ils sont en train d'enlever l'hiver qu'ils destinent au
marché local. Un conteneur devait arriver dans la semaine mais on
ne le voit pas venir » se lamente-t-elle.
Selon les Douanes françaises, 13 530 Tonnes de fripes
ont été
expédiées de France vers la Tunisie en 2009. Seulement 397
Tonnes ont fait le trajet inverse. Il est question pour
l'administration de « tous
les articles de friperie : vêtements et accessoires du vêtement,
et linge de maison en tous types de matières textiles,
manifestement usagés et présentés en vrac ou en paquets, simplement
ficelés en balles sacs ou conditionnements similaires.
»
Sur 700 000 Tonnes de
vêtements jetés, 100 000 Tonnes seulement sont retraitées
Les français se débarrassent de 700 000 Tonnes de
vêtements usagés par an estime l'ADEME. Or
seulement 100 000 Tonnes sont traitées par les opérateurs de
collecte et de tri, environ une dizaine. Parmi eux, Le Relais. La
société de collecte et de tri la
plus en vue en raison de sa vocation de solidarité, dispose d'un
parc de conteneurs sur les parkings des hyper marchés et à chaque
coin de rue dans les villes. Le Relais
dépend de l'organisation Emmaüs et traite 50 000 Tonnes de vêtements
usagés par an
dont 35% destinés à l'export.
La société Ecotextile -- Framinex
basée à Noyon dans l'Oise capte elle 12 000 Tonnes de vêtements
usagés. Un premier tri grossier permet de séparer les vêtements
mettables de ceux déchirés, tâchés. Ces derniers vont alimenter la
filière
de recyclage et d'effilochage. Ils y seront transformés en
chiffons d'essuyage pour l'industrie ou de rembourrage pour
l'aéronautique ou l'automobile.
En revanche, 45 % du volume
traité est mis de côté, et retrié, en plusieurs catégories : « La
crème », le premier choix, le second choix : « classique » et le
troisième, moins reluisant. Selon le directeur de la Framinex,
Majide Zerroug, la revente de cette seule portion de vêtements
réutilisables permet à
elle seule l'équilibre de toute la filière.
Chez
Ecotextile-Framinex, 80% de la fripe réutilisable est exportée
Hormis certains
petits détaillants qui viennent acheter sur place pour le vendre
dans des boutiques en ville ou sur les marchés, 80% de la fripe
ainsi mise de côté est exportée « dans les pays qui autorisent
l'importation des vêtements usagés », Principalement l'Afrique et
les Etats Unis. Ces critères excluent Israël, la Chine et tous
les pays dont l'économie repose sur l'industrie textile.
La France autorise elle l'importation. Et les
grossistes, au
premier rang desquels Euréka, Johnatan's fripe et Freep'star, ne
s'en privent pas. Eureka (cf reportage) par exemple achète 0,5%
du volume traité par la société Soex en Allemagne, qui traite environ
300
Tonnes par jour. Avec les pays de l'espace Schengen aussi les
échanges sont denses. La Hongrie, la Pologne figurent au premier
rang des pays exportateurs. Au delà des océans, les Etats Unis et
le Canada exportent aussi d'importants stocks et achètent en
retour le volume trié.
C'est en transitant par
la France que les fripes prennent de la valeur
Car c'est en transitant chez ses
grossistes basés à Rouen, que les vêtements usagés prennent de la
valeur. La marchandise y arrive par camion. Elle a été auparavant triée
directement dans les usines par du personnel qualifié. Les usines
tolèrent la présence de ces trieurs. En échange, le grossiste s'engage
à acheter un pourcentage par an du volume traité.
Les pièces sont ensuite acheminées en France et
reclassées selon
des critères qualitatifs, en fonction de la mode, pour répondre à
la demande : des vêtements originaux et de qualité, à bas prix.
La balle est vendue entre 8 et 10 euros le kilo. Elle est vendue
fermée composée selon les critères fixés
entre l'acheteur et le directeur commercial. L'acheteur peut
aussi trier lui-même, l'article revient environ à deux euros. «
Trop cher » pour Georgette qui préfère encore partir en Tunisie, à
ses frais, pour trier elle même et constituer des balles, de 45
kilos, à 10 euros le kilo.
"Les gens aimeront
toujours la mode"
Cependant un danger guette la filière. Partout le même
constat
: la qualité des vêtements neufs baisse. En cause : les vêtements
fabriqués en masse en Chine, et vendus à bas prix dans les grandes
enseignes. Résultat, 65% du volume trié chez les opérateurs de tri
était revendable en l'état au début des années 2000. Ce chiffre est
tombé à 45% aujourd'hui, ce qui a provoqué au passage la
disparition de 80 % des sociétés françaises spécialisées dans le
tri.
Un phénomène qui n'est pas prêt de ralentir selon Hélène Fourneau du
département panel enquête consommateurs de
l'Ifm. Pour elle, malgré « une vraie tendance autour de la
récupération », le phénomène reste marginal par rapport au marché
global du textile et de l'habillement. « Les gens aimeront
toujours la mode » La priorité n'est plus à la durée. Les
vêtements ne durent pas plus d'une saison en moyenne. Et la
chercheuse de souligner que cette croissance n'est pas sans
risque : la culture du coton nécessite beaucoup d'eau, d'engrais
et de pesticides. Au delà donc de la nécessité, ou du chic, donner
une seconde vie aux vêtements va devenir incontournable.
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