La crémation, réponse aux angoisses de la société
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Certes, la photo n'est pas encore en place, mais il faudra pourtant la crediter comme suit (Photo Untel).
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La crémation représente près de 30% des obsèques en France.
Jusqu'à 50% dans les grandes villes. Ce nouveau mode de
funérailles répond à des motivations multiples d'une société qui
évolue.
« Les motivations pour la crémation sont très personnelles et
très complexes, explique Cynthia Mauro, psychologue spécialisée
dans ce domaine et membre du Comité d'Ethique Funéraire. La
crémation, c'est un défunt peu encombrant, peu contraignant,
facile à gérer dans notre société où la vie est déjà parfois un
fardeau. Il y a l'éparpillement des familles. La fille est à un
endroit, le fils a un autre? Pour certains, la dimension
écologique entre aussi en compte bien que rien ne soit prouvé de
ce côté. Dans notre société actuelle, l'attachement à la
dépouille est moins fort. On prend moins le temps d'aller visiter
nos morts dans les cimetières et la société se détache aussi des
symboles de la religion », décrypte la psychologue.
L'érosion de la religion, l'Eglise en est consciente. Elle
reconnaît la crémation depuis 1963. Et cela lui a sans doute
permis de garder une part de ses fidèles. Avant cette date,
certains choisissaient la crémation pour la provoquer et dire son
désaccord avec le principe de la résurrection de la chair. En
1963, le concile du Vatican II a décidé non pas d'approuver la
crémation mais de la tolérer. « A partir du moment où le choix
n'est pas fait pour contester l'Eglise », explique le père Viale,
vicaire général du diocèse de Chambéry. Toutes les autres raisons
(écologique, économique, pratique), l'Eglise ne les comprend pas
». Le père Viale dénonce la violence, pour ceux qui restent, du
feu qui détruit le corps. « C'est nous qui écartons les familles
du four ! », tempête-t-il. L'homme d'église évoque la difficulté
pour les familles de faire le deuil. « Avec une urne, la prière
est plus difficile. Il n'y a plus de représentation du corps
possible. Il reste les notions de vie et de mort et on ne fait
pas un deuil avec ça. »
A ces propos, Cynthia Mauro répond qu'il ne faut pas faire de
généralité. « Chaque famille, chaque deuil est différent. Il
n'est pas plus compliqué avec la crémation qu'avec l'inhumation à
partir du moment où le moment est cadré, où les familles peuvent
respecter certains rites. On a cru longtemps que la crémation
était plus compliquée à gérer car longtemps, les professionnels
du secteur ne respectaient pas pour la crémation, le processus
"normal" d'hommage au défunt. »
A ce sujet, l'augmentation des crémations en France a obligé
les politiques à légiférer sur la pratique. Jean-Pierre Sueur est
à l'origine de la plupart des textes. Sénateur du Loiret, l'homme
politique s'est intéressé à la crémation dès 1993. « Je recevais
beaucoup de courriers de familles ayant rencontré des problèmes
lors des obsèques ou après. J'ai fait des lois pour les défendre,
fragiles dans ces moments de deuil. »
Ainsi, le sénateur Sueur a donné un statut aux cendres
« calqué sur celui de la dépouille dans le cercueil ». Elles sont
ni séparables, ni mélangeables et on ne peut plus garder les
cendres chez soi. « On retrouvait des urnes dans les brocantes,
dans les greniers... », justifie Jean-Pierre Sueur.
L'Eglise souhaite, elle, que les cendres reposent en terre
pour garder le symbole du retour à la terre. Le père Viale
s'offusque des offres proposées sur le marché (fabrication de
bijoux, diamants avec les cendres, urnes à l'effigie du défunt,
etc). « C'est le refus de la mort. On ne veut garder que du
beau, que de l'agréable. C'est une façon de retenir le défunt
malgré lui. »
Cynthia Mauro a une interprétation plus psychologique mais pas
si éloignée. « Finalement, la crémation répond aux nouvelles
angoisses de la société. C'est plus simple, plus propre, plus
ergonomique... ». Un peu comme si la société française changeait de
regard sur la mort pour la désacraliser, la dédramatiser. Partir
vite, pour oublier.
Marine Guillaume et Lilian Maurin
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